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remarquable synthèse des guerres

coloniales,

mais quelques réserves

général Maurice FAIVRE


Vincent Joly, Guerres d’Afrique. 130 ans de guerres coloniales. L’expérience française, éd. Université de Rennes, 2009, 336 pages, 22 €. Cet ouvrage propose une vaste fresque historique des guerres coloniales en Afrique. Les campagnes de l’armée française y sont comparées aux expériences britanniques, allemandes et italiennes. En dépit de la supériorité de ses moyens, l’armée qui débarque à Sidi Ferruch en 1830 n’est pas adaptée à la conquête de populations et de territoires inconnus.

C’est l’expérience de la guerre d’Espagne qui permet au général Bugeaud de discipliner les troupes, d’agir offensivement avec l’aide du recrutement local, et d’encadrer les populations.Il faut imaginer et mettre en œuvre de nouvelles formes de guerre, telles que la razzia, sur le modèle de Hoche en Vendée ; or c’était une pratique courante en Afrique du Nord, où Abd el-Kader se réclame de la guerre sainte et conduit une guérilla nomade, mal comprise de ses subordonnés et de populations attentistes.

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Cavaliers Rouges d'Abd el-Kader, Algérie
Gravure sur bois, gravée par Hebert d'après Raffet. 1843

Faidherbe met fin à la logique commerciale qui avait favorisé la présence française en Sénégambie. Père de l’impérialisme français, il construit en dix ans la colonie compacte du Sénégal, base de départ pour la conquête du Soudan.

Après 1870 et dans d’autres territoires, ses successeurs mettent au point des méthodes de pacification qui font référence ; Pennequin, Galliéni et Lyautey sont imités par Mangin, Angoulvan et Psichari ; leur liberté d’action surprend souvent les gouvernements ; l’impérialisme populaire célèbre ses héros : Brazza et Marchand.

D’autres modes d’action sont mis en œuvre par les Britanniques qui utilisent les troupes locales pour intimider les populations ; n’ayant pas de tradition coloniale, les Allemands en Namibie, et les Italiens en Éthiopie et Libye, emploient des procédés brutaux de répression. Trinquier et Galula sont les références des Américains en Irak. Mais entre temps, tous les moyens militaires sont entrés en action, blindés, artillerie lourde, avions, hélicoptères, drones et missiles.

Selon Sarraut, la crise de la colonisation débute dans les années 1930. En 1944, la conférence de Brazzaville tente de proposer des réformes. Une armée aux faibles moyens, non colonialiste, est confrontée à la subversion du Kominform et de l’Islam. La répression des soulèvements de Sétif et de Madagascar est brutale, mais n’atteint pas les volumes de victimes cités par l’auteur. Partagés entre le choix de la résistance ou de la collaboration, les colonisés acceptent souvent une certaine accommodation avec le colonisateur, d’autant plus que les officiers pratiquent un paternalisme qui correspond à la structure patriarcale de la société.

colonel Lacheroy

La guerre révolutionnaire est découverte en Indochine par les colonels Hogard et Lacheroy qui en font la théorie. Les regroupements de population au Cambodge sont une réussite, mais l’échec de la RC4 et de Dien Bien Phu illustrent l’absence d’un projet politique. dans une guerre politique, l’armée avait le devoir de faire de la politique L’armée des rappelés en Algérie n’est sans doute pas adaptée à ce nouveau conflit. Les postes statiques du quadrillage et l’administration des SAS auraient, selon l’auteur, échoué dans la mission d’intégration des musulmans.

Le nationalisme de la population, enjeu de cette guerre politique, serait mal apprécié par le commandement, qui surestimerait l’influence du communisme. L’action psychologique, incapable de rallier les cœurs et les esprits, aurait échoué sur tous les tableaux. Cette interprétation des dernières guerres coloniales, s’appuyant sur des auteurs contestables (1) appelle la discussion. L’armée d’Indochine, selon Giap, aurait été vaincue parce qu’elle ne faisait pas de politique ; à l’inverse, Messmer condamne la politisation de l’armée en Algérie. La réalité est la suivante : dans une guerre politique, l’armée avait le devoir de faire de la politique, à condition que ce fut la politique de la nation, et qu’il y eut unité d’action. Salan, puis Challe et Delouvrier ont réalisé cette unité et conduit une action qui n’était pas seulement militaire, mais globale, regroupant les domaines sociaux, judiciaires, éducatifs, administratifs, militaires et politiques. La fraternisation du 16 mai concrétisait un premier résultat, face à une population attachée davantage à ses clans qu’à une nation (2) qu’elle ignorait. Or ce succès n’a pas été exploité par le chef de l’État.

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L’Algérie française revendiquée par les militaires, qui selon Ely avaient le contact avec la population, n’était pas l’Algérie de papa, mais une Algérie nouvelle associée à la France [témoignages cités (3)]. Il se trouve que l’association était aussi l’objectif du général de Gaulle, qui n’a pas compris la situation et qui a interdit l’action psycho-sociale de l’armée au profit d’une action médiatique personnelle. Bien plus, il a persuadé l’opinion que tous les Algériens étaient pro-FLN.

Ces quelques réserves (4) exprimées dans d’autres recensions, ne sont pas une critique négative, mais une contribution positive à cette remarquable synthèse de toutes les guerres coloniales.

Maurice Faivre
5 janvier 2011



1 - La référence à H. Brunschwig, D. Porch, Pervillé, Harbi, Girardet, Médard, Rivet, Vaïsse est pertinente. Mais Ageron, excellent dans l’histoire de la colonisation, déraille dans son histoire des harkis, de la bataille des frontières et du général Katz. Planche, Mauss-Copeaux, Branche, Camille Lacoste-Dujardin, Lecour-Grandmaison et Boudarel présentent des interprétations partielles et partiales. Le rapport Rocard a été contesté par Delouvrier. Des ouvrages importants semblent ignorés, ceux de J. Marseille, Lefeuvre, Brunet et Vétillard.

2 - Le nationalisme algérien, qui n’a trouvé son unité qu’après 1962, s’est imposé par la guerre civile (Mohammed Harbi, La Croix du 15 mars 2002)

Une autre erreur est celle de la communisation des nationalistes algériens. Jamais les 2ème Bureaux n’ont soutenu cette thèse, mais ce fut un argument utilisé par certains généraux (Allard, Ely) pour convaincre les alliés de l’OTAN du bien-fondé de la politique algérienne.

Sur un plan général, le professeur Joly pose la question de la nature totale des guerres coloniales, conforme à la thèse de Lecour-Grandmaison. La violence fut totale sans doute en Namibie contre les Herero, où l’on peut parler de génocide. En France, la guerre totale fut initiée par la Convention pour la Vendée et pour les guerres européennes, mais non pour les conquêtes coloniales, que le congrès historique de Stokholm en août 2000 qualifie de «conflits de basse intensité».

3 - Ce que fait l’armée en 1958, est un travail révolutionnaire, observe Lacouture, confirmé par Claude Paillat, qui décrit l’élite des officiers comme «des enfants de la Révolution française : on apporte la liberté, on va régénérer les gens… on va refaire une autre société que ces colonies un peu pourries… la société française les a un peu devinés, mais pas compris. Ils sont tombés dans une aventure qui les a broyés». Hélie de Saint-Marc développe les mêmes idées.

4 - Quelques fautes d’inattentions sont à noter : pas d’opération Couronne en Oranie, surestimation des victimes de Madagascar (la plupart morts de faim et de maladie dans la forêt où ils ont été confinés par les rebelles), des disparus de la bataille d’Alger (voir Pervillé) et des effectifs de l’ALN, sous-estimation des harkis massacrés, des effectifs de 1962 et des signataires du Livre blanc.

Quelques affaires semblent oubliées : les FAFM de Si Chérif, les EMSI et le SFJA, la pacification active de Challe, le FAAD, l’échec du dégroupement.

 

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