à propos d'un livre de Benjamin Stora
général Maurice FAIVRE
Benjamin Stora, Le mystère de Gaulle. Son choix pour l’Algérie, Robert Laffont, 2009, 268 pages.
Benjamin Stora donne ici son interprétation de la décision gaullienne d’autodétermination en Algérie, le 16 septembre 1959. Il considère à juste titre que c’est le tournant décisif de la guerre. Les raisons stratégiques en sont l’isolement diplomatique de la France, le coût excessif de la guerre, et l’échec de l’assimilation des musulmans.
B. Stora reconnaît que De Gaulle a tenu des propos équivoques selon les interlocuteurs rencontrés, que l’entente entre Challe et Delouvrier était parfaite, que l’opinion algérienne était partagée (référence à la thèse de Diane Sambron). Les réactions du GPRA sont bien analysées.
Intéressantes sont les citations du sous-préfet Belhaddad, la lettre de Camus du 19 octobre 1959, le dialogue Duchemin-Ferhat Abbas, la note des R.G de décembre 1960.
Enfin l’auteur replace parfaitement la décision gaullienne dans le cadre de l’évolution internationale et intérieure (la société de consommation et de divertissement, la modernité de la société, la montée du Tiers Monde, l’attitude ambiguë des Américains, la pression soviétique).
Quelques erreurs ou omissions (1) nuisent cependant à la cohérence de la démonstration (2). La principale concerne l’ignorance de l’action politico-militaire engagée par l’armée. Il est inexact d’affirmer que le général Challe met la priorité sur la destruction de l’ALN. Son action est globale engagée par Salan et Massu, soutenue par Debré, Ely et Delouvrier, elle engerbe :
- l’action militaire par le cloisonnement des frontières, l’infiltration et l’intoxication de l’ennemi (bleuïte), les commandos de chasse, le plan Challe, les opérations des DATE-DATO en Tunisie et au Maroc, les opérations huma et arma, l’interception maritime des trafics d’armement ;
- l’action politique par l’unité d’action au niveau des grandes unités, et entre Challe et Delouvrier, les élections libres, le recrutement massif des FSNA, la formation politique des autodéfenses, l’autodéfense active des quartiers de pacification (plan Victor), la Fédération amicale des U.T. et des autodéfenses ;
- l’action sociale des SAS, des EMSI, des foyers féminins et sportifs, du mouvement de Solidarité féminine, de l’assistance médicale (AMG), la modernisation des 1 000 villages de Delouvrier, l’ordonnance de février 1959 sur la condition féminine ;
- l’action de formation : scolarisation portée à 80%, formation de la jeunesse (SFJA de Gribius et de Segonzac), promotion musulmane civile et militaire ;
- l’action judiciaire du plan Gerthoffer, de la Commission de sauvegarde du droit, et des CMI de Salan.
De Gaulle a-t-il composé avec le réel ? L’indépendance était certes inéluctable, mais on peut s’interroger sur la méthode, et sur les résultats : - les massacres de 1962 - une dictature militaire en Algérie – les révoltes internes des Français, renouvelées en 1968 – l’échec de la politique neutraliste de la France. La question mérite d’être discutée .
Maurice Faivre
le 23 octobre 2010
(1) Erreurs et omissions relevées :
- silence du général de Gaulle sur Sétif en mai 1945 ;
- 12.000 morts le 20 août 1955, c’est le nombre des manifestants ;
- 100 morts le 17 octobre 1961 à Paris, moins de 30 selon J.-P. Brunet ;
- 30.000 et non 80.000 combattants de l’ALN extérieure en mars 1962 ;
- 1,5 million de soldats français, c’est l’effectif cumulé sur 7 ans ;
- la harka du bachaga Boualem compte 720 hommes et non 2 000 ;
- la personnalité de l’Algérie reconnue par Soustelle avant De Gaulle ;
- le plan de Constantine financièrement supportable selon l’IG René Mayer ;
- le plan Challe approuvé le 15 septembre par le Conseil de défense ;
- la formule "la valise ou le cercueil" attribuée à Ortiz ;
- l’interview de Massu à Kempski non citée ;
- Si Salah pas exécuté, mais tombé dans une embuscade ;
- ignorance de la manipulation de François Coulet en décembre 1960 ;
- sortie de l’OTAN non évoquée.
2) L’incohérence est évidente, elle se situe au niveau de l’action psychologique. Alors que le général Ely préconise une action psychologique gouvernementale antisubversive (directives de mai 1957 et février 1958), qui reçoit l’aval des gouvernements de la IVe République, le général de Gaulle poursuit une action contraire à celle de l’armée et dissout les 5ème Bureaux. Se croyant engagé dans une guerre coloniale du XIXe siècle, il n’exploite pas les fraternisations de mai 1958. Bien mieux, il persuade les opinions, algériennes et françaises, que tous les musulmans sont pro-FLN. C’est lui, et non le FLN, qui gagne la bataille des esprits.
contrôles militaires à Alger contre l'Oas (source)
Au sujet du "Mystère De Gaulle"par rapport à l'Algérie voici des extraits significatifs de ce qu'en dit le Docteur JC Perez lors d'une conférence le 23 Janvier 2010
"En 1958 en tant que dernier président du Conseil de la IVème République, Pompidou occupa les fonctions de chef du cabinet du général. Immédiatement, il produisit un document : le document Pompidou, sur lequel les historiens ne sont pas prolixes. Dans ce document, élaboré avec l'aide de Brouillet et de Tricot, furent précisées des modalités de prises de contacts rapides avec l'Organisation Extérieure de la Rébellion Algérienne. Dans le but d'amorcer des négociations pour aboutir, au plus tôt, à un cessez-le-feu. Un lieu de rencontre avait été choisi. C'était en Espagne franquiste, à Barcelone plus précisément. Les services spéciaux espagnols avaient déjà pris toutes leurs dispositions pour protéger les émissaires FLN contre toute tentative d'agents français qui auraient été animés de mauvaises intentions à leur égard. Pompidou, ancien fondé de pouvoir de la banque Rothschild, se révélait être un chargé d'exécution d'élite de la thèse capitaliste, fondamentale et exclusive, du largage de l'Algérie française.
Celle-ci fut abandonnée pour le bénéfice espéré du grand argent et non pas pour promouvoir un essor économique du peuple algérien. Le délestage économique, voilà qui résume le pourquoi de la décolonisation en général, et plus précisément du délestage de l'Algérie française. C'était une stratégie exclusivement capitaliste. Il est utile de le rappeler sans arrêt."........
"Nous avions interprété avec d'autres, comme il se devait, la signification de la prise de pouvoir par le général De Gaulle à partir du mois de juin 1958, après le fameux 13 mai 1958.
Nous avions refusé, avec très peu d'autres, le OUI au référendum du 28 septembre 1958. Parce que nous avions compris qu'à n'importe quel moment, l'intégrité nationale, c'est-à-dire l'intégrité territoriale française, pouvait être remise en question par voie de référendum. Cette constitution de 1958 mettait notre patrie à la merci des aléas politiques qui pouvaient surgir sur le territoire métropolitain et ailleurs.
C'était la base de notre anti-gaullisme de 1958-1959 et nous avons évidemment entrepris des recherches de renseignements pour connaître les véritables intentions opérationnelles du général De Gaulle.
Au moment du référendum, dans ma volonté désespérée d'engager mes compatriotes à voter NON, je m'appuyai sur un article publié dans la revue des DEUX MONDES, au début de l'année 1958. C'est au printemps 1958, 50 jours environ avant le 13 mai 1958, que j'eus connaissance de cet article.
Il s'agissait en réalité d'une interview de Bourguiba, rapportée dans cette revue, qui exposait ses prévisions sur l'avenir de l'Algérie. Il divisait les Français en deux grandes catégories.
- Les «nordistes» : c'est le terme qu'il employait. Les nordistes, qui regroupaient essentiellement les partis de gauche et le monde syndical français. Ceux-là, précisait Bourguiba, étaient favorables à l'indépendance de l'Algérie.
- Les «sudistes» : c'est le terme qu'utilisait encore une fois, Bourguiba. Il y regroupait les Français d'Algérie, les Français de métropole qui, normalement militaient dans des mouvements qui représentaient l'ensemble de la droite nationale française.
Bourguiba déclarait en substance :
« Les sudistes sont prêts à s'appuyer sur l'armée, à solliciter son concours pour un éventuel coup de force dans le but de garder l'Algérie à la France. Et dans cette perspective, ils n'hésiteront pas à faire appel au général De Gaulle. Mais, ils ignorent que le général De Gaulle est celui qui leur imposera l'indépendance de l'Algérie et qui va se jouer d'eux pour les engager dans une politique qui n'est pas du tout favorable à l'Algérie française ».
J'ai utilisé le contenu de cet article au cours de différents contacts, durant l'été 1958, auprès de mes confrères médecins, auprès de notables de l'Algérie française, auprès de mes amis personnels, dans ma famille, auprès de mes patients, pour essayer de les convaincre de voter NON au référendum prévu pour le 28 septembre 1958.
Je me suis fait, la plupart du temps, traiter de tous les noms d'oiseaux que vous pouvez imaginer.
Certains sont même allés jusqu'à me dire :
« En réalité, tu es un marxiste parce que tu raisonnes comme eux ».
Cette réflexion de ceux qui étaient prêts à se laisser tromper, dans l'enthousiasme, par le général De Gaulle, me fut souvent opposée.
En France, lorsque vous proposiez une technique de raisonnement bien argumentée, bien structurée, on avait tendance à vous traiter de « marxiste », comme si les marxistes étaient les seuls à être capables de conduire un raisonnement supposé logique."
Posté par JF Paya, samedi 13 novembre 2010 à 11:20