Algérie : reconduire les servitudes volontaires
Reconduire les servitudes volontaires
Au moment même où s’élaborait un appel* initié par des historiens
algériens et français qui «demande aux plus hautes autorités de la
République française de reconnaître publiquement l’implication première
et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la
colonisation en Algérie, une reconnaissance nécessaire pour faire
advenir une ère d’échanges et de dialogue entre les deux rives, et,
au-delà, entre la France et les nations indépendantes issues de son
ancien empire colonial», le ministre algérien des anciens combattants,
Mohammed Cherif Abbès, dans un entretien accordé lundi 26 novembre au
quotidien algérien Al-Khabar, évoque l’origine juive du président
ou de tel ou tel de ses ministres, et attribue l’élection
présidentielle au «lobby juif qui a le monopole de l'industrie en
France». Rappelons que c’était le même Mohammed Cherif Abbas qui avait
lu, le 5 mai 2005, lors d’un colloque à Sétif, l’incroyable discours
qui assimilait la colonisation au nazisme, et les fours à chaux
d'Heliopolis (Guelma, 1945) aux fours à gaz d'Auschwitz, en présence
d’historiens français dont un certain nombre avaient quitté la salle.
Indépendamment du caractère grotesque de cette déclaration – qui,
apparemment, n’a guère soulevé de protestations en Algérie et qui a
même été soutenue par le président de l’Organisation nationale des
moudjahidin, Saïd Abadou –, indépendamment de «la résurgence qu’elle
manifeste des préjugés antisémites les plus nauséabonds», pour
reprendre les termes du communiqué de la Ligue des droits de l’homme,
elle est révélatrice d’un certain état d’esprit, dont la conclusion de
cet entretien donne quelques clés : «Aujourd’hui des rapports d’égal à
égal ne sont pas envisageables, les Français ne sont pas prêts, en
particulier durant le mandat de M. Sarkozy. Si je devais rencontrer le
président français, je lui dirais : “Faute avouée est à demi
pardonnée”.»
À quoi servent «les juifs» dans la rhétorique du pouvoir algérien
actuel, au prix d’un déni de l’histoire de l’Algérie dans laquelle
s’inscrit l’intime du rapport entre musulmans et juifs indigènes ? À
nourrir indéfiniment le ressentiment pour se légitimer et refaire du
consensus – et quel consensus ! –, à faire fond de commerce d’un
antisémitisme latent très sensible dans les cercles du pouvoir et dans
les mouvances islamistes ; à rejouer la colonisation, et la fierté
nationale sur un théâtre désert auquel personne ne croit plus ; à «reconduire les servitudes séculaires propres à un passé révolu»
(Mohammed Harbi, «Une presse sans déontologie», juin 2005).
Ce sont précisément ces servitudes séculaires que l’appel «France-Algérie : dépassons le contentieux historique» (http://www.ldh-toulon.org)
se propose d’ébranler, c’est cette parole d’égal à égal à laquelle il
donne réalité, sans qu’il soit question de repentance, de faute ou de
pardon : il est question de la reconnaissance par la République
française d’un fait historique donné. C’est le déni des faits qui ouvre
la porte au racisme, qu’il soit contre les Arabes ou contre les juifs :
aux citoyens algériens de découvrir ce que l’antisémitisme officiel
veut dénier.
Paris, le 2 décembre 2007
Association du Manifeste des libertés
* Appel rendu public le 1er décembre 2007, dans Le Monde :
(http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-984515,0.html),
l’Humanité, et dans les quotidiens algériens El Watan, le
Quotidien d’Oran et Al-Khabar (en arabe, et que nous soutenons (il est affiché pour signatures sur
le site de la LDH-Toulon : http://www.ldh-toulon.org).
Mohamed Cherif Abbès : "(les) véritables architectes de l’arrivée
de Sarkozy au pouvoir, le lobby juif qui a le monopole de l’industrie en France".
- interview du ministre algérien des Moudjahiddines (Anciens combattants), Mohamed Cherif Abbès : texte sur le site voltairenet.org
- Algérie : message d'accueil antisémite pour Sarkozy: lefigaro.fr