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études-coloniales
10 novembre 2007

Colonisations et répressions, XIX°-XX°siècles (colloque Sedet)

Diapositive5

 

Colloque International

Colonisations et répressions

XIXe - XXe siècles

Paris, 15-17 novembre 2007

 

 

Laboratoire Sedet – UMR CNRS 7135
Université Paris Diderot-Paris 7
Lieu du colloque :
Salle des Thèses – 2ème étage
Immeuble Montréal – 103 rue de Tolbiac / 59 rue Nationale
75013 PARIS

 

PROGRAMME

Jeudi 15 novembre 2007

13h30 - Accueil

14h00 – 18h30

Introduction : Chantal Chanson-Jabeur et Faranirina Rajaonah

1)    Les expressions de la répression brutale :

Rapporteur : D. HEMERY
T. Rakotondrabe (Univ. Toamasina) :  Les insurgés face aux militaires dans le district de Brickaville (Est de Madagascar) en 1947
• Catherine Coquery-Vidrovitch (Sedet)  (contribution écrite)  : Violence coloniale en AEF : Les “scandales du Congo” et ses suites
• Maher Charif (IFPO Damas) : Comment les Autorités du mandat britannique ont étouffé la révolte de 1936-1939 en Palestine
• Jean Martin (Univ.Lille) : La répression des mouvements de résistance aux Comores (1856-1891)
• Benjamin Stora  (Sedet/Inalco) : D’une répression à l’autre, le Nord Constantinois en 1945 et 1955
• Ouarda Siari-Tengour (Université de Constantine) : L’affaire Sidi Ali Bounab, septembre 1949
• Clotilde Jacquelard (Université d’Orléans) : Une explosion xénophobe, le massacre des chinois de Manille par les Espagnols en 1603
• Andreas Eckert (Univ. de Berlin) : Un système colonial exceptionnellement répressif ? Violence, répressions et l’Etat dans les colonies allemandes
        Discussion et débats

2) Les instruments de la répression ordinaire :

        A –
Rapporteur : I. THIOUB
• Sylvie Thénault (Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle) : L’internement pendant la guerre d’Algérie
• Daniel Hémery (Sedet) : Poulo Condore l’archipel inversé
• Habib Belaid (ISHMN Tunis) : La prison civile de Tunis à l’époque coloniale : politique pénitentiaire et résistance (1906-1956)
• Omar Carlier (Sedet) : Le camp d’internement de Djenien Bouerezg dans l’Algérie de Vichy (1940-1943), lieu de répression et école de formation politique
• Alain Rouaud (Sedet) : Le bagne d’Obock entre mer et désert
        Discussion et débats

 

Vendredi 16 novembre 2007

9h00 – 12h30
                        B – Les appareils :
Rapporteur : A. FOREST   
• Nicolas Bancel (Univ. Strasbourg II/Univ. Lausanne) : Transmission de l’appareil policier de l’État colonial aux exécutifs territoriaux en 1957 en AOF
• Yoshiharu Tsuboï (Université Waseda, Tokyo) : La gendarmerie japonaise (Kenpei) et les répressions dans les régions colonisées – Mandchourie et Indochine – pendant la Seconde Guerre mondiale
• Joël Glasman (Doctorant Sedet) (contribution écrite) : Policer «le pays des 25 coups». Stratégies sécuritaires et police coloniale au Togo (1884-1939)
• Samuel Sanchez (Doctorant Sedet) : Escarmouches, prises d’otages. Stratégies de conquêtes et de soumission dans les petites colonies françaises de Madagascar et des Comores (1818-1885)
• Dominique Bois (Sedet) : La police à Diego Suarez
• Naoyuki Umemori (Université de Waseda, Tokyo) : On some characteristics of Japenese colonial government in Korea : Collusive relationship between nation state and colonial state
• Patrice Morlat (Sedet) et Charles Fourniau (Université d’Aix-Marseille)  :  Mouvement national et appareils  répressifs en Indochine (1905-1925)
• Amadou Ba (Doctorant Sedet) : Le rôle des tirailleurs sénégalais dans la répression dans l’Empire colonial français
        Discussion et débats

                        C – Législation :
Rapporteur : T. RAKOTONDRABE
• Laurent Manière  (Docteur - Sedet) : Code de l’Indigénat en AOF (1887-1946)
• Alain Tirefort (AIHP – UAG Martinique) : Une législation coercitive comme réponse à l’abolition de l’esclavage : la main-d’œuvre carcérale à la Martinique sous le second Empire
• Pierre Ramognino  (IHTP) : La répression en  AOF dans les colonies françaises sous l’autorité du régime de Vichy (1940-1943)
        Discussion et débats

Déjeuner buffet

14h30 – 18h30

    3) Violences coloniales et sociétés locales :

A – Culture et religion :
Rapporteur : J. WEBER
• Faranirina Rajaonah (Sedet) : Histoire exclue, histoires revisitées. Enseignement et autres apprentissages de l’histoire  à Madagascar de 1916 à 1951
• Didier Nativel (Sedet) : Ségrégation, répressions politiques et culturelles à Lourenço Marques (des années 1940 à 1975)
• Abdelmadjid Merdaci (Université de Constantine) : Constantine et son double, les territoires de l’autre et de l’interdit
• Isabel Castro Henriques (Univ. de Lisbonne) Dynamiques africaines d’autonomisation en situation coloniale : l’exemple angolais

B – Presse, cinéma et médias :
Rapporteur : J. WEBER
• Odile Goerg (Sedet) : Cinéma et censure en Afrique coloniale française   
• Lucile Rabearimanana (Université d’Antananarivo) : Censure de presse et répression  du mouvement nationaliste après l’insurrection de 1947 à Madagascar
• Jamaa Baïda (Université de Rabat) : La presse écrite sous le Protectorat français au Maroc : un régime d’état de siège
        Discussion et débats

Samedi 17 novembre 2007
9h00 – 13h00

C – Travail et migrants :
Rapporteur : O. SIARI-TENGOUR
• Pierre Brocheux (Sedet) : La répression dans le monde du travail en Indochine
• Eric Guerassimoff (Sedet) : Répression des activités politiques des émigrés chinois à Singapour et en Malaisie entre les deux guerres
• Anissa Bouayed (Sedet) : Répression et  presse : faire état de la répression syndicale, une prise de risque
• Issiaka Mandé (Sedet) : Violences coloniales, violence au quotidien : le travail forcé en AOF
• Jean-Michel Mabeko-Tali (Howard University) :  Nkayi, ou la mémoire de violence : la corvée du transport fluvial dans le Nord Congo, sous la colonisation française
• Chantal Chanson-Jabeur (Sedet) :  Conflit syndical et répression brutale : le 5 août 1947 à Sfax (Tunisie)
• Daouda Gary-Tounkara (docteur Sedet) : Violences coloniales, migrations des sujets de l’AOF et représailles des résistants. Les peuples de la zone forestière face à la «pacification» de la Côte d’Ivoire (1903-1915)
        Discussion et débats

4) Décolonisation : discours et aspects contemporains de la répression coloniale
Rapporteur : Y. TSUBOI    
Alessandro Triulzi (Université de Naples) : Les silences de l’outre-mer : les pièges de la mémoire coloniale italienne
• Monique Chemillier-Gendreau (Sedet) (communication écrite) : La colonisation au regard du droit international
• F. Angleviel (Univ. de Noumea) : Autochtones et répression en Nouvelle Calédonie
• Alain Ruscio : L’image fausse de la décolonisation «pacifique» de la Tunisie, 1950-1956
• Anne Marchand : Légitimes, illégitimes ? Les violences coloniales sous le regard de la presse française : le cas du Maroc (1950-1956)
• Jacques Weber (Univ. Nantes) : La répression coloniale  au Bangladesh en 1971
• Marion Libouthet (Doctorante Univ. Nantes) : La répression coloniale  au Tibet depuis 1950
        Discussion et débats

13h00 – 13h30 Synthèse : A. Forest et P. Morlat

 

Diapositive1

 

 

RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

 

 

1) Les expressions de la  répression brutale

T. Rakotondrabe (Univ. Toamasina)
Les insurgés face aux militaires dans le district de Brickaville (Est de Madagascar) en 1947
Les commémorations du soixantième anniversaire des «évènements» au mois de mars 2007 ont, une fois de plus, montré que 1947 est toujours  l’objet d’amalgames, tant de la part des officiels que des survivants, notamment dans la présentation des différents niveaux de la répression. Il s’avère plus que jamais nécessaire de distinguer dans 1947 différents «évènements» auxquels correspondent différents types de répression. Il y a d’abord l’insurrection proprement dite à laquelle le pouvoir colonial répond par une campagne de répression militaire dans les zones rurales concernées. Ensuite, une répression policière en milieu urbain qui, sous prétexte de l’insurrection, vise à réduire au silence les appareils régionaux et l’organe national du MDRM. Enfin, le pouvoir colonial s’attelle à criminaliser  les acteurs de ces différents évènements par une répression judiciaire sans précédent. L’insurrection étant au cœur des évènements de 1947, l’étude des modalités de la répression militaire est intéressante à plus d’un titre. Partant d’une monographie de l’insurrection dans le district de Brickaville sur la côte est de Madagascar, nous tenterons de dégager en premier lieu les principales caractéristiques d’une «rébellion» anti-coloniale et rurale. Nous procèderons, dans un deuxième moment, à l’analyse des moyens (militaires, politiques et psychologiques) que le pouvoir colonial déploie dans sa campagne de reconquête coloniale. L’hypothèse sous-jacente à notre démarche étant qu’aussi bien l’insurrection que sa répression illustre bien la place centrale de la violence en situation coloniale.


Catherine Coquery-Vidrovitch (Sedet) (contribution écrite)
Violence coloniale en AEF. Les «scandales du Congo» et ses suites
En 1903, le journaliste britannique Edmund Morel contribue à lancer une campagne européenne internationale contre les abus du «caoutchouc rouge» de l’État indépendant du Congo (futur Congo belge) alors soumis au pouvoir discrétionnaire du roi des Belges. Côté Congo français, les abus sont réputés moins criants. Néanmoins ils existent, et le ministre des Colonies était au courant, qui les étouffa au nom de la raison d’État. En témoigne l’action courageuse et indignée d’un tout jeune administrateur colonial face aux exactions de la compagnie concessionnaire La Mpoko, qui exerçait son privilège aux confins du Congo et de l’Oubangui-Chari (République centrafricaine actuelle). Celui-ci a témoigné plus de cinquante ans après les faits, précisant ainsi ce qui n’était pas inscrit dans des archives par ailleurs oubliées jusqu’alors. Cette communication précisera les tenants et les aboutissants de l’affaire, qui concernait l’assassinat de quelque 1 500 « indigènes » et se conclut en 1909 par un non-lieu.


Maher Charif (IFPO Damas)
Comment les Autorités du mandat britannique ont étouffé la révolte de 1936-1939 en Palestine
La révolte de 1936-1939 en Palestine a été, comme le remarque à juste titre Ghassan el Khazen dans son ouvrage La grande révolte de 1936 en Palestine (Beyrouth, Éditions Dar An-Nahar, 2005), un des soulèvements anti-coloniaux les plus importants que l’empire britannique a affrontés dans l’entre-deux grandes guerres. Déclenchée au milieu d’une vague révolutionnaire anti-coloniale qui a déferlé sur de nombreux pays arabes, elle a été le terme de l’accumulation des sentiments faits de colère et de frustration, chez les Arabes Palestiniens, ainsi que l’expression de l’échec des tentatives menées, pendant deux décennies, par la classe dirigeante arabe, pour inciter les autorités du mandat à tempérer leur soutien au projet d’établissement d’un foyer national juif en Palestine.
Cette révolte, dans laquelle la classe des paysans arabes a joué un rôle déterminant, est passée par deux étapes : la première qui débute avec la grève générale déclenchée le 20 avril 1936, et qui s’accompagne d’une lutte armée, à partir du milieu du mois de mai, se termine avec la fin de la grève, le 12 octobre 1936 ; tandis que la deuxième, la plus violente, commence fin septembre et ne s’achève qu’avec la fin du printemps 1939. Quant à ces objectifs, ils ont été clairement formulés par : l’arrêt total de l’immigration juive ; l’interdiction totale de passage des terres arabes aux mains des juifs ; la constitution d’un gouvernement national représentant toutes les parties de la population, en vue de mettre fin au mandat et établir un traité avec la Grande-Bretagne, à l’instar du traité conclu, en 1936, entre la Syrie et la France.
Je propose, dans ma communication, de montrer comment les autorités du mandat britannique ont réussi, en recourant aux mesures de violence les plus féroces et aux diverses manœuvres politiques, à étouffer cette révolte à la veille de la deuxième guerre mondiale.
Pour cela, je vais m’appuyer sur des sources arabes contemporaines des faits, sur quelques rapports publiés par les commissions d’enquêtes britanniques, ainsi que sur des études consacrées à cette révolte.


Jean Martin (Univ. Lille)
La répression des mouvements de résistance aux Comores (1856-1991)
En 1843, la France prit possession de l’île de Mayotte, île la plus orientale du groupe des Comores, dont elle fit, après bien des atermoiements, une petite colonie sucrière. Les marins français placèrent ensuite l’île de Mohéli sous une quasi-tutelle puis en 1886, les trois îles de Mohéli, Anjouan et la Grande Comore furent officiellement placées sous protectorat français.
La domination coloniale fut mal accueillie par les populations et suscita des mouvements de résistance qui furent assez durement réprimés : là comme ailleurs le pouvoir colonial dut recourir à la politique de la canonnière. Nous avons retenu trois exemples : dès 1856, à Mayotte, la politique de confiscation du sol et d’exploitation des travailleurs «engagés libres» provoqua un soulèvement dont la garnison locale put assez rapidement venir à bout. Quelques condamnations de meneurs s’ensuivirent.
En 1867, à Mohéli, la jeune reine Djoumbé Fatima qui avait inconsidérément livré son île au planteur français Joseph Lambert s’engagea dans une politique de résistance qui valut à sa capitale, le village de Fomboni, d’être bombardée à deux reprises (1867 et 1871).  À Anjouan enfin, le protectorat français fut refusé par les insulaires dont les sympathies étaient acquises à la Grande Bretagne, qui avait promis de veiller à l’abolition de l’esclavage. Au début de l’année 1891, la mort du sultan Abdallah III marqua le début d’une guerre civile : esclaves et paysans pauvres des hauts pillèrent la capitale Mutsamudu, et formèrent un pouvoir révolutionnaire qui porta à sa tête le prince Saïd Othman. Un corps expéditionnaire venu de la Réunion écrasa le soulèvement, mais l’autorité française dut proclamer l’abolition immédiate de l’esclavage, intégration d’une revendication des insurgés.


Benjamin Stora (Sedet/Inalco)
D’une répression à l’autre, le Nord Constantinois en 1945 et 1955
En mai 1945 et en août 1955, dans le territoire du Constantinois, situé dans l’Est algérien, deux grandes répressions ont eu lieu faisant des milliers de victimes. En mai 1945, les répressions dans les villes de Sétif et de Guelma, et leurs environs, se sont produites à la suite de la victoire contre le nazisme, et la fin de la seconde guerre mondiale. Les chiffres de victimes varient de 45 000 morts (avancés par les nationalistes algériens) à 1500 morts (avancées par des sources militaires françaises). En août 1955, la grande répression dans les villes de Skikda (Philippeville), Annaba (Bône), Constantine, a provoqué la mort de 12 000 personnes, selon les nationalistes du FLN. Cet événement a marqué un véritable tournant de la guerre d’Algérie.
Cette communication traitera des questions suivantes : pourquoi les plus grands massacres d’Algériens, dans l’histoire du XXe siècle, se sont-ils déroulés dans cette région de l’Est de l’Algérie ? Pourquoi une répétition des formes de violence, par les colonisés et la puissance coloniale, à dix ans seulement d’intervalle, dans cette région particulière ? Quelles traces ces répressions dans le Nord Constantinois ont-elles laissé dans la mémoire collective des Algériens ?


Ouarda Siari-Tengour (Univ. de Constantine)
L'affaire Sidi Ali Bounab, septembre 1949
En septembre 1949, la recherche d'un insoumis – que l'on suppose réfugié au douar Sidi Ali Bounab (Kabylie) –  a mobilisé un détachement de la gendarmerie qui s'est livré à une opération de ratissage en règle. Rien ne fut épargné aux habitants: perquisitions, saccages des gourbis, brutalités contre les hommes et les femmes dont plusieurs furent violées.
Alerté, le journal Alger Républicain diligenta une enquête et livra à l'opinion publique un compte-rendu détaillé de "l’expédition de Sidi Ali Bounab".
Revenir sur le récit des évènements qui ont bouleversé la vie quotidienne à Sidi Ali Bounab (de nombreuses familles quittent le village) est l'occasion d'essayer de comprendre moins la logique de la violence coloniale que la dynamique des changements, survenus du côté des colonisés.


Clotilde Jacquelard (Univ. d’Orléans)
Une explosion xénophobe, le massacre des Chinois de Manille par les Espagnols en 1603
Trente ans après la conquête de Manille, les Espagnols réprimèrent dans le sang, en octobre 1603, plus de vingt mille Chinois, ou sangleys, révoltés contre leur autorité.
Outre l’éclaircissement des causes immédiates qui déclenchèrent l’évènement et des conséquences que celui-ci provoqua sur la situation de la colonie espagnole des Philippines, l’étude de ce massacre oblige l’historien à réfléchir tout d’abord sur la coexistence entre ces deux communautés humaines dans l’archipel, et à mettre en lumière la position géopolitique inédite des Philippines à la fin du XVIe siècle, propulsées au cœur des tensions régionales en mer de Chine méridionale.


Andreas Eckert (Univ. de Berlin)
Un système colonial exceptionnellement répressif ? Violence, répressions et l’état dans les colonies allemandes
Cette contribution analyse l’exemple des colonies allemandes en Afrique, le rôle de la violence et des mesures répressives au cours de la création et de la consolidation de l’Etat colonial dans l’Afrique allemande. Dans les colonies allemandes, l’autorité coloniale était toujours précaire, et la violence n’était pas l’expression du pouvoir omnipotent des colons, mais plutôt de leur faiblesse. C’est pourquoi les Allemands ont choisi une politique de ‘la terreur sélective’ : des massacres, la destruction complète de quelques villages, des pendaisons publiques. La violence coloniale s’est traduite également dans les modes de ségrégation spatiale (le cas de Douala est significatif dans ce contexte) et dans des pratiques juridiques souvent extrêmement racistes. Une partie considérable de ma communication sera consacrée aux deux grandes guerres coloniales quasi-génocidaires : la guerre de l’armée coloniale allemande contre les Héréro et Nama en Afrique Sud-Ouest (Namibie) et la guerre Maji Maji en Afrique de l’Est. Nous allons analyser causes, course et conséquences de ces guerres et surtout les stratégies et la résistance des colonisés. Finalement, on va essayer de mettre la violence dans les colonies allemandes dans le contexte plus large de la violence coloniale au vingtième siècle pour discuter deux questions générales : Est-ce qu’il y avait des pratiques violentes «typiquement allemandes» ? Dans quelle mesure la violence coloniale avait-elle des répercussions dans les sociétés métropolitaines ?



2) Les instruments de la répression ordinaire


A – Camps et internements

Daniel Hémery (Sedet)
Poulo Condore, l’archipel inversé
Bagne modèle de l’univers pénitentiaire colonial dans sa version française, Poulo Condore a été, précocement et durablement, l’un des sous-systèmes essentiels des structures coercitives modernes qu’en Indochine la colonisation a tenté d’acclimater à partir du milieu du XIXe siècle, au lieu et place des modes de répressions antérieurement à l’œuvre.
À la fois espace carcéral, terre de violence et de souffrance, entreprise semi-autarcique, Poulo-Condore a été aussi, et plus qu’aucun des autres bagnes indochinois, un concentré des tensions permanentes, souvent paroxystiques, entre captifs et gardiens. Au point de devenir à partir des années 1930 l’un des foyers paroxystiques, entre captifs et gardiens. Au point de devenir à partir des années 1930 l’un des foyers paradoxaux où se subvertit de l’intérieur l’enfermement colonial


Habib Belaid (ISHMN Tunis)
La prison civile de Tunis à l’époque coloniale : politique pénitentiaire et  résistance, 1906-1956
Parmi les établissements pénitentiaires de la Tunisie coloniale (prison militaire, prison du Bardo, Pénitencier du Djouggar, camps de détention, etc.), la Prison civile de Tunis occupe une place importante dans le dispositif de répression coloniale.
Construite en 1906 pour remplacer l’ancienne prison située dans la Médina de Tunis, devenue trop exiguë et source d’épidémies, la Prison civile de Tunis a été pour les nationalistes tunisiens, un haut lieu de la résistance anticoloniale.
Basée sur les archives officielles et sur quelques témoignages d’anciens prisonniers, cette étude tente de montrer comment la détention (politique essentiellement) a été gérée par les autorités coloniales, face à la montée du mouvement nationaliste en Tunisie. Ainsi, nous nous proposons d’étudier ce lieu de détention selon deux axes :
- la politique pénitentiaire coloniale ;
- la résistance dans la prison, comme les mouvements de grève et de solidarité.



Alain Rouaud (Sedet)
Le bagne d'Obock entre mer et désert
L'offre et la demande se sont conjuguées pour conduire à la création du bagne d'Obock, à l'entrée nord du golfe de Tadjoura, dont l'existence, en tout cas comme bagne colonial, a été éphémère, une décennie, de 1886 à 1895.
La demande ? ... fournir une main-d'œuvre peu coûteuse pour la construction du chef-lieu d'une colonie naissante qui sera l'Etablissement d'Obock, puis la Côte française des Somalis et enfin, à partir de 1967 le Territoire français des Afars et des Issas (avant d'accéder à l'indépendance en 1977 sous le nom de République de Djibouti). L'offre ? ... trouver un lieu de détention proche pour les condamnés des cours de justice des comptoirs de l'Inde, de la Réunion et de Sainte-Marie. L'ancienne factorerie Paul Soleillet, seul bâtiment en dur de l'embryon de ville qu'est alors Obock, est aménagé pour accueillir les transportés dont le nombre n'excédera pas 200. Ils sont affectés à différents travaux, mais leur garde par manque d'effectif est plus assurée par le désert environnant et la mer que par les hommes. Les évasions ne sont cependant pas rares et les décès fréquents.
Mais la décision de transférer le chef-lieu de la colonie sur la rive sud du golfe est bientôt prise. La nouvelle ville, Djibouti, sera reliée par un chemin de fer à Addis-abeba et équipée d'un port fréquenté. La surveillance de détenus serait dès lors trop aléatoire. À partir de 1891 des mesures sont prises pour transférer les bagnards survivants en Guyane. Les bâtiments du bagne seront toutefois plus tard utilisés comme lieu de détention civil ou militaire.
Le but de cette communication est, sur la base de travaux déjà publiés, de signaler ce bagne colonial peu connu et peu étudié.


B – Les appareils

Nicolas Bancel (Univ. Strasbourg II/Univ. Lausanne)
Transmission de l'appareil policier de l'État colonial aux exécutifs territoriaux en 1957 en AOF
L'évolution institutionnelle et politique de l’Afrique occidentale française (AOF) au milieu des années 1950 témoigne d’un changement de cap radical de la gouvernementalité coloniale. Après la défaite d’Indochine, sur fond de guerre d’Algérie et d’incertitudes au Maroc et en Tunisie, des réformateurs coloniaux – tels H. Teitgen puis G. Defferre –, réalisent l’urgence de penser une solution politique qui évite, autant que possible, l’usage de la force militaire.
En effet, à ces facteurs extérieurs s’ajoute la congruence d’une série de crises qui attestent de l’évolution politico-sociale très rapide de la fédération. Crise, d’une part, de la fonction publique africaine, désormais encadrée syndicalement, et qui se solde par plusieurs mouvements de grève où les mots d’ordre corporatistes le dispute à une rhétorique nationaliste de plus en plus présente. Crise également dans la jeunesse urbaine et lettrée – étudiants en France et à Dakar, scolaires dans toute l’AOF –, dont la radicalisation politique inquiète fortement les services de police et de renseignements. Crise budgétaire enfin, maintenant prévisible grâce aux premières projections budgétaires réalisées au début des années 1950.
C’est dans ce contexte que vont être promulguées les réformes décisives de la loi-cadre en 1956-1957, qui reconfigurent complètement le paysage institutionnel de l’AOF, redéfinissent les rapports de pouvoirs entre la métropole et la fédération, et modifient en profondeur l’adossement du pouvoir colonial à certains groupes sociaux d’AOF.
C’est le triomphe du principe d’association, longtemps évoqué mais jamais véritablement mis en œuvre dans la fédération. Celui-ci comprend des transferts de pouvoir non négligeable vers les nouvelles élites colonisées, et, dans ces transferts, sont compris les services de police territoriaux, désormais sous le contrôle des Conseils de gouvernement. Ce transfert est capital, dans le contexte troublé des années 1956-1957 car il place complètement en porte-à-faux ces élites désormais décisionnaires face à des mouvements sociaux dont ils ont parfois été les initiateurs… Le transfert de la violence légitime est donc une étape cruciale qui doit permettre, dans l’esprit des réformateurs coloniaux, de poursuivre la politique coloniale à nouveaux frais. Nous posons donc l’hypothèse que ce transfert de pouvoir inaugure en Afrique noire une articulation historique majeure, qui, avant les indépendances, transforme la politique coloniale en politique impériale.


Yoshiharu Tsuboi (Univ. Waseda, Tokyo)
La gendarmerie japonaise (Kenpei) et les répressions dans les régions colonisées – Mandchourie et Indochine – pendant la Seconde Guerre mondiale
La réputation de la Kenpei (gendarmerie japonaise) comme machine cruelle de répression est solidement établie en raison de ses exactions non seulement chez les populations colonisées et occupées, mais aussi à l'égard des simples soldats japonais. En s'appuyant sur les documents historiques, on tentera d'éclaircir les origines, les fonctions et le fonctionnement ainsi que les caractéristiques de cette Gendarmerie, comme corps de répression.


Joël Glasman (Doctorant Sedet) (contribution écrite)
Policer le «pays des 25 coups». Stratégies sécuritaires et police coloniale au Togo (1884-1939)
Le Togo colonial fut la «colonie modèle» (Musterkolonie) des Allemands, avant d'être un «territoire pilote» pour les Français. Pour les Togolais, cependant, il fut le "pays des 25 coups". Cette contribution se propose d'analyser les stratégies policières coloniales sur une longue durée (1884-1939), c'est-à-dire à cheval entre la période allemande et française, afin d'étudier les continuités et les ruptures des discours et des pratiques répressives coloniales.
L'échelle privilégiée est ici celle de l'"État colonial", afin de comprendre comment s'articulent les discours élaborés dans les ministères métropolitains d'une part, et, d'autre part, les impératifs et inerties administratives locales. Le Togo est d'abord caractérisé par une pénétration coloniale relativement rapide – à la différence de ses voisins l'Ashanti et le Dahomey- et d'un contrôle policier efficace – épargnant aux colonisateurs allemands les expériences traumatisantes du Sud-Ouest africain (Namibie). Cela fut le résultat de stratégies pourtant tâtonnantes et d'une série de réactions ad hoc par une puissance coloniale allemande sans expérience coloniale préalable et sans vision à long terme. L'ordre colonial stable et le coût relativement bas de l'occupation coloniale alimenteront ainsi le mythe de la "colonie modèle". De même, le Togo restera relativement calme (si l'on excepte la révolte de Lomé en 1933) dans l'entre-deux guerre, alors que le nouvel Etat mandataire, la France, qui, à l'inverse de son prédécesseur, s'appuie sur une longue expérience coloniale, doit composer avec le contrôle (bienveillant) de la Société des Nations.
Malgré la rupture radicale affichée par la propagande française, les stratégies policières semblent largement se perpétuer d'une période à l'autre. Celles-ci se déploient en effet, pour les deux puissances, dans une même tension entre la nécessité de monopoliser la violence légitime d'une part, et les limites budgétaires, d'autre part. Paradoxe colonial permanent, la police doit vivre des taxes dont elle garantie elle-même le prélèvement. Les limites budgétaires imposant de s'appuyer sur des troupes africaines réduites , la question centrale pour le colonisateur reste, qu'il soit français ou allemand, celle de la loyauté de ses troupes. Mais les similitudes vont plus loin. Loin de réinventer des stratégies sécuritaires à partir des principes dont elle se proclame le garant, la France coloniale semble reprendre à son compte nombre d'idées et de pratiques allemandes. Les « races guerrières » (martial race) recrutées en priorité, de l'idée selon laquelle certains groupes ethniques seraient par essence plus aptes à la pratique des armes, restent sensiblement les mêmes : Hausa, mais surtout sociétés "sans-Etat" du nord, en particulier le groupe Kabiyé. Cette remarquable continuité s'expliquant probablement autant par une insertion économique inégale (nord/sud) du Togo dans l'économie coloniale que par la transmission des «savoirs coloniaux» . Au-delà du recrutement, le problème de distribution des policiers sur le territoire en fonction de leur appartenance ethnique (policiers de l'ethnie X pour dominer efficacement les Y afin d'éviter les accointances ou au contraire X pour X et Y pour Y pour accroître l'efficacité ?) reste, tout au long de la période coloniale, l'équation insoluble à laquelle le prisme ethnique condamne les dominants. La formation des policiers enfin, même si elle évolue considérablement au cours de la période, et quand bien même on ne saurait à première vue imaginer de domaine plus éloigné entre le modèle français et le modèle allemand (Invocation de valeurs opposées, système du « concours » à la française, importance donnée à la langue, etc.), semble trahir de nombreuses continuités entre l'avant et l'après-Première Guerre mondiale. La formation est centrée sur l’apprentissage de techniques policières (en particulier le tir) mais surtout sur l’acquisition, au quotidien, des codes, des règles, des postures imposées par des puissances coloniales qui cherchent d'abord à isoler ce groupe professionnel en construction du reste de la société. Le pas cadencé, la parade, la musique militaire, tout cela contribue à forger le groupe policier tout en rendant visible l’ordre colonial. L’encadrement reste sauf exception, et jusqu'à la seconde guerre mondiale, réservée aux Blancs.
Au final, la présente contribution cherchera à déterminer, à travers l'exemple du Togo, certaines des stratégies policières liées à l'organisation des forces de l'ordre, les héritages et les inerties d'un système répressif, ainsi que les possibilités de son changement.


Samuel Sanchez (Doctorant Sedet)
Escarmouches, prises d’otages. Stratégies de conquêtes et de soumission dans les petites colonies françaises de Madagascar et des Comores (1818-1885)
Les petites colonies françaises de l’océan Indien occidental (Sainte-Marie, Nosy Be, Mayotte) sont caractérisées, au début du XIXe siècle jusqu’à la première guerre franco-malgache (1883-1885) par le faible poids des administrations coloniales. Dans les périodes où la domination coloniale se concentre autour de ports-points d’appui, la gestion des périphéries et des campagnes, théoriquement sous contrôle, est assez lâche. Les maigres moyens mis à la disposition des établissements ne pouvaient permettre aux colonisateurs d’exercer une domination incontestée sur les habitants et les pouvoirs dynastiques locaux. Les colonisateurs, cantonnés dans les chefs-lieux (Dzaoudzi, îlot Madame, Hell-Ville) de ces colonies contrôlaient mal les environs proches.
Par quels moyens les colonisateurs conservent-ils le leadership sur des zones, aux portes de leurs villes, où leur présence reste sporadique ? Il apparaît que les colonisateurs ont fait usage de stratégies pragmatiques, parfois guerrières, mais surtout ponctuelles pour rendre durable leur autorité au sein même de leurs territoires. Trois modes d’action sont particulièrement notables et caractérisent le mode de coercition que les Français ont employé à Sainte-Marie, Nosy Be et Mayotte :
- la politique d’escarmouche ou la volonté de disperser les factions rivales, installées sur le territoire colonial mais obéissant à d’autres autorités que l’administration coloniale ;
- la politique de la prise d’otage effectuée contre les familles aristocratiques influentes ;
- la stratégie d’achat de la paix civile, passant par la corruption des notables les plus puissants.
Ces trois modes d’action sont révélateurs de la faiblesse de l’autorité coloniale dans ces comptoirs. Les colonisateurs sont obligés d’avoir recours à la ruse et à des modes détournés de répression pour affirmer leur présence ponctuellement, contre des groupes qui agissent en dehors de l’autorité coloniale.

Dominique Bois (Sedet)
La police à Diego Suarez
Nous nous proposons  de présenter les institutions et les techniques de maintien de l’ordre public pendant la période coloniale dans une ville portuaire  de Madagascar, Diego Suarez.
Capitale régionale, port de débarquement de migrants venues de tous les horizons de l’Océan indien, base militaire et navale de la métropole, Diego Suarez abrite une société cosmopolite dont le contrôle est confié à différentes institutions, civiles et militaires. En fonction des groupes, l’encadrement prend des formes particulières. C’est ainsi que Yéménites et Chinois sont organisés par l’administration en congrégations.
La police ne limite donc pas son activité à la surveillance de la «population indigène autochtone» elle s’informe également sur les réseaux « ransnationaux» dont les communautés migrantes  représentent les têtes de pont dans la capitale du Nord.
Etudier le travail quotidien de maintien de l’ordre, de renseignements effectué par l’administration coloniale à travers la littérature grise, la presse etc., c’est aussi mettre en lumière les lieux névralgiques de la sociabilité urbaine coloniale.


Naoyuki Umemori (Univ. Waseda, Tokyo)
De quelques caractéristiques du mode de gouvernement colonial japonais en Corée : les affinités entre Etat national et Etat colonial
La communication se donne comme point de départ le débat sur la punition par la flagellation qui agita les intellectuels japonais au début du XXe siècle. Au Japon, la flagellation fut un mode habituel de punition jusqu'à une époque relativement récente. Ce fut seulement en 1882 que le gouvernement de Meiji abolit la flagellation avec la promulgation de premier Code criminel d'inspiration occidentale. Cependant, la flagellation redevint un important sujet à portée politique lorsque les Japonais recoururent à ce type de punition à Taiwan et en Corée, récemment soumis à leur empire. Cela suscita un débat d'une portée considérable chez les intellectuels et fonctionnaires japonais, débat largement ignoré par les historiens et spécialistes de sciences politiques dont beaucoup pensent qu'il fut de peu d'importance. Mon intention est au contraire de le traiter comme un cas exemplaire offrant quelques intéressantes perspectives sur les traits caractéristiques du mode de gouvernement colonial japonais.
Au fil du débat, les implications de l'usage de la flagellation furent radicalement réinterprétées. Alors qu'elle symbolisait jusqu'alors l'arriération des mœurs japonaises, elle fut désormais présentée comme une punition civilisée et humaine, expression d'une administration dynamique et efficace. Quels furent les effets d'une telle redéfinition en Corée et au Japon ? Telle est la question théorique à laquelle je souhaite répondre. L'érudition conventionnelle présuppose que les sociétés non-occidentales, tels le Japon, se sont toujours modernisées en s'alignant sur les modèles occidentaux. Je souhaite pour ma part montrer combien les processus réels sont éloignés de cette interprétation commune de l'histoire. J'insisterai sur le fait que les colonies furent des lieux important d'élaboration et de contestation des institutions et des pratiques modernes, et que nous ne pouvons comprendre de manière pertinente la modernité du Japon et de la Corée sans analyser la nature du mode colonial de gouvernement.


Patrice Morlat (Sedet), et Charles Fourniau (Univ. d’Aix-Marseille)
Mouvement national et appareils répressifs en Indochine (1905-1925)
Cette communication traitera de la période insurrectionnelle et patriotique de la Ligue Duy Tan, dirigée par les deux chefs charismatiques que furent Pham Boi Chau et le prince Cuong Dê. Cette lutte contre le pouvoir colonial français en Indochine débute en 1905 et se termine au début des années vingt. Elle constitue, après celle du mouvement Can Vuong des débuts de la conquête, la seconde vague insurrectionnelle vietnamienne contre la présence française et, précède la dernière, celle des derniers mouvements révolutionnaires nationalistes et communistes de 1928 à 1954. Elle donne naissance à la mutation des mouvements mandarinaux traditionnels de résistance à la conquête en partis politiques modernes. Reposant à la fois sur les techniques nouvelles d’attentats à la bombe de type anarchiste mais aussi sur les plus anciennes de bandes armées venues de Chine du Sud, la ligue Duy Tan fera peser une réelle menace sur la présence française notamment après le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Le pouvoir colonial, après une période de tâtonnements comme celle de la mise en état de siège d’une partie de la colonie en 1914, y répondra, au milieu des années dix, par la mise en place d’appareils de répression modernes et civils comme la police de Sûreté indochinoise et la Direction des affaires politiques. La course de vitesse qui en découlera entre la répression et la révolution façonnera à jamais l’avenir de la colonisation française en Indochine.


Amadou Ba (Doctorant Sedet)
Le rôle des tirailleurs sénégalais dans la répression dans l’Empire colonial français
L’armée coloniale française qui a conquis et pacifié la grande île africaine, était composée d’éléments issus de la métropole mais surtout dans les colonies : Kabyles, Ouest-Africains, Comoriens, ressortissants de la côte française des Somalis, Réunionnais et même des Malgaches  etc. Si les éléments de l’AOF était assez peu représentés au début de la conquête (1 bataillon de tirailleurs haoussas et 500 conducteurs sénégalais), ils deviendront de plus en plus important après la prise de Tananarive et la pénétration dans le Sud avec l’arrivée du Général Gallieni. Après la chute du royaume merina, des troubles et des actes de banditisme secouèrent la plus grande partie du pays (le centre, l’ouest, et sud notamment) en gênant considérablement l’implantation des Français. Appelé au secours à cause de son expérience dans le Soudan et le Tonkin, le Général Gallieni décida dès son installation de faire appel aux éléments de l’AOF qu’il connaissait bien.
Connus sous la dénomination de «tirailleurs sénégalais», les recrues ouest-africaines furent utilisées comme des «pacificateurs» mais surtout comme éléments de répression (surveillants de prison, chargés d’exécution des rebelles, police urbaine et rurale, etc.) Ils furent sollicités dans les régions les plus troublées comme l’Ouest et le Sud. Cette utilisation reste encore visible à Madagascar comme l’atteste ce dicton local « soanagaly nahaizu baiko » = (agir comme un Sénégalais qui reçu des ordres). Aujourd’hui encore, une sorte de mythe ou de légende circule sur les Sénégalais à Madagascar. Ils sont perçus comme des violents et des méchants.
À travers des documents d’archives (archives nationales du Sénégal, archives de la République de Madagascar, archives de l’armée de terre et de la marine à Vincennes et archives d’Outre-mer à Aix-en-Provence), des sources orales, iconographiques et des anecdotes qu’on m’a racontées lors de mon voyage dans la Grande île en avril et mai 2006, je vais essayer de montrer qui sont réellement ces Sénégalais ? Pourquoi et comment les a-t-on utilisés dans la répression ? Quelles conséquences cela a entraîné ?


C – Législation

Laurent Manière (Docteur - Sedet)
Code de l’Indigénat en AOF (1887-1946)
Le système colonial français reposait sur la distinction fondamentale entre sujets indigènes et citoyens français. Le code de l’indigénat – encore appelé régime de l’indigénat ou indigénat- s’appuyait sur cette différenciation. Il fut introduit au Sénégal par le décret du 30 septembre 1887 puis étendu à toute l’AOF.
Elaboré en marge du régime judiciaire, l’indigénat permettait aux administrateurs coloniaux de réprimer d’une peine de 15 jours de prison et/ou d’une amende de cent francs toute une gamme d’infractions spéciales aux sujets indigènes telles que le «manque de respect envers un représentant de l’autorité française» ou le «non-paiement des impôts et non-accomplissement du travail obligatoire». En outre, des peines exceptionnelles donnaient aux gouverneurs la possibilité d’interner tout individu suspecté de menacer la sûreté de l’Etat colonial pour une durée de dix ans.
Le dialogue qui s’établit sur le terrain colonial entre la stratégie définie dans les textes réglementaires et les tactiques mises en œuvre par les agents d’exécution du pouvoir administratif et les sujets indigènes témoigne de l’extrême vivacité du régime qui joua un rôle coercitif majeur et contribua largement à l’insertion des sociétés colonisées dans l’économie de marché.
En l’absence de contre-pouvoir judiciaire régulier, de nombreux abus d’autorité furent dénoncés au cours des vingt premières années. La concurrence de la justice indigène et l’évolution de la politique coloniale rendirent des ajustements nécessaires. Des efforts furent donc déployés pour réglementer et adoucir les rigueurs du régime mais les administrateurs, qui dépendaient étroitement de leurs pouvoirs répressifs, continuèrent d’appliquer le régime avec sévérité : la crise économique de 1932-1934 constitua un pic répressif exceptionnel.
L’indigénat, plus âprement contesté en France par certaines personnalités métropolitaines et en Afrique par les «évolués», continua de s’émietter jusqu’à disparaître en 1946, en même temps que le statut d’indigène.


Pierre Ramognino (IHTP)
La répression en AOF et dans les colonies françaises restées sous l’autorité du régime de Vichy (1940-1943)
De 1940 à 1943, l’Afrique occidentale française, comme d’ailleurs la plupart des colonies françaises, reste sous l’autorité du régime de Vichy. Dès la fin de 1940, le gouvernement général, dirigé par Pierre Boisson, met en place un système de contrôle de la société de plus en plus répressif que l’on peut assez précisément étudier grâce aux nombreuses archives conservées aux Archives d’outremer (Papiers Boisson) ou aux Archives nationales (archives de la Haute cour de justice de la République).
En s’appuyant sur cette documentation et en comparant la situation de l’AOF avec les autres colonies restées sous le contrôle de Vichy (principalement l’Algérie, l’Indochine et les Antilles), notre contribution tentera de dégager les caractéristiques et les spécificités de la répression dans les colonies françaises à cette époque en montrant en quoi ces caractéristiques éclairent à la fois l’histoire et la sociologie du système colonial et celle du régime de Vichy.



3) Violences coloniales et sociétés locales

A – Culture et religion

Faranirina Rajaonah (Sedet)
Histoire exclue, histoires revisitées. Enseignement et autres apprentissages de l’histoire à Madagascar de 1916 à 1951
Après «la découverte» de la société secrète Vy Vato Sakelika (Fer, Pierre, Ramifications) en 1915, le gouvernement colonial supprime l’histoire des programmes de l’enseignement indigène jusqu’en 1951. Il s’agissait de limiter l’impact subversif d’une discipline ayant vocation d’entretenir  ou de forger un sentiment national. Mais il était impossible de bannir complètement l’histoire que les élèves découvrent désormais à travers des textes de lecture en français ou en malgache dans lesquels l’annexion de l’Île est assimilée à la Révolution de 1789. Toutefois, il restait possible à des jeunes Malgaches des villes (et plus particulièrement de la capitale) d’accéder à leur histoire par la fréquentation de cercles  rattachés à des églises, par la lecture de périodiques confessionnels où la connaissance se transmet  souvent dans leur langue. Ainsi, la jeunesse  citadine a tout de même pu trouver des espaces de liberté et profiter des limites de la surveillance coloniale, sinon d’une politique qui ne pouvait viser à l’acculturation des populations  soumises.


Didier Nativel (Sedet)
Ségrégation, répressions politiques et culturelles à Lourenço Marques (des années 1940 à 1975)
Après 1945, de Mafalala (quartier africain) à Polana (partie aisée de la ville blanche) existaient des formes d’opposition au système ségrégationniste et au salazarisme, que la PIDE (la police politique portugaise) voulait réduire au silence. Après une phase de relative accalmie à la fin des années 1950 (le régime est isolé diplomatiquement et tente d’améliorer son image), la répression (surveillance constante, censure, arrestations, torture) s’accentue à la suite d’insurrections en Angola (1961) puis dans le nord du Mozambique (1964). Le contrôle de la capitale, où ont été formés les cadres du FRELIMO, devient alors un enjeu majeur pour les Portugais.
Cette contribution se propose d’analyser les modes d’action de la puissance coloniale dans le cadre urbain, véritable laboratoire identitaire. Furent particulièrement touchés, la presse, le monde associatif, les cercles intellectuels et littéraires, les milieux musicaux. Le cas de prisonniers politiques emblématiques (Virgílio de Lemos, José Craveirinha et Luís Bernardo Honwana ; des intellectuels blanc, métis et noir) sera par ailleurs abordé et contextualisé.


Abdelmadjid Merdaci (Univ. de Constantine)
Constantine et son double, les territoires de l'autre et de l'interdit
Plus que dans toute autre agglomération algérienne l'érection et le développement de la «ville européenne» de Constantine sont concomitants de l'affirmation et de la puissance coloniales. Dans l'opposition à la médina originelle d'un urbanisme différent, la construction de la ville de l'altérité  européenne dessine par sa centralité, ses symboles, sa toponymie, les territoires des interdictions de séjour, une ségrégation culturelle, sociale et ethnique. En s'appuyant sur l'histoire de l'urbanisme colonial constantinois notre communication s'attachera à questionner des formes plus souterraines de violences quotidiennes.


Isabel Castro Henriques (Univ. de Lisbonne)
Dynamiques africaines d'autonomisation en situation coloniale : l'exemple angolais
Cette communication veut mettre en évidence les permanences et les changements des hégémonies africaines dans le cadre angolais de la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 1930, permettant aux africains d'affirmer leur originalité culturelle et de devenir des acteurs fondamentaux dans le processus historique de la construction de l'Angola moderne.


B – Presse, cinéma et médias

Odile Goerg (Sedet)
Cinéma et censure en Afrique coloniale française
Dès le début du XXème siècle, le cinéma connut un succès en Afrique. Il faut toutefois attendre les années 1950, dans la majorité des colonies, pour que ce nouveau média touche un public large et diversifié. C’est dans ce contexte que se pose réellement la question de la censure. L’élargissement de la diffusion, le choix entre diverses salles dans les grandes villes mais aussi l’existence d’un public aguerri aboutissent à une situation paradoxale ; d’une part l’urgence de la mise en place d’une censure effective, de l’autre, la difficulté d’imposer une gamme restrictive de films dans le contexte des revendications indépendantistes. Contrairement à une vision schématique, la mise en place de système de censure fut laborieuse et complexe, marquée par des hésitations et un empirisme certain, dans les colonies françaises où la volonté de centralisation administrative se heurte constamment aux soucis d’autonomie locale. Il faut donc largement nuancer la vision d’un contrôle total de la distribution et d’une censure stricte des films en circulation. S’établit en fait un jeu complexe, entre les désirs des spectateurs et des acteurs culturels diversifiés et la volonté de contrôle de la part des autorités coloniales, missionnaires ou patronales mais aussi d’interlocuteurs africains (intellectuels, nationalistes, parents) qui s’engagent activement dans le débat sur l’impact des images. Tous les acteurs politiques ou sociaux s’accordent en effet pour attribuer aux images des vertus ou des vices importants mais le pouvoir qu’on leur suppose est ambigu : d’un côté visées pédagogiques, et partant civilisatrices (sic) ou éducatives, de l’autre potentiel subversif ou lénifiant.
Cette proposition se propose de faire l’historique des mesures législatives de censure, d’en mesurer l’impact concret ainsi que d’exposer les débats qui ont opposé les divers acteurs aussi bien sur les critères de censure (consensuels ou conflictuels) que sur leur application


Lucile Rabearimanana (Univ. d’Antananarivo)
Censure de presse et répression du mouvement nationaliste après l’insurrection de 1947 à Madagascar
Le mouvement indépendantiste gagne des couches de plus en plus nombreuses de la population malgache au lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais il est victime d’une répression multiforme qui vise à le faire taire voire à l’abattre à partir du 2ème semestre 1946, au fur et à mesure que les nationalistes et surtout le parti qui cristallise les aspirations de bon nombre d’entre eux, le Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache, parviennent à remporter un succès foudroyant et que le régime colonial est de plus en plus remis en question par la plupart des Malgaches. La répression coloniale des activités politiques nationalistes doit donc être examinée en fonction du contenu des aspirations de la population et des comportements de celle-ci à l’égard du régime colonial. Elle dépend aussi de la politique de la IV République à l’égard de l’Union française, que nous examinerons à travers ses manifestations locales. Elle sévit partout dans l’île, notamment après divers incidents survenus à travers le pays, et se renforce par suite de l’éclatement de l’insurrection le 29 mars 1947.
Nous analyserons alors d’abord les différentes formes de la répression des insurgés comme des nationalistes «là où il ne s’est rien passé», et ensuite les réactions des populations malgaches face à une politique coloniale immobiliste et cantonnée dans des mesures négatives. Sources écrites officielles comme enquêtes de terrain permettent de cerner l’évolution des comportements des Malgaches provenant de milieux géographiques et sociaux différents avant et après l’insurrection. La violence de la répression coloniale influe sur les manifestations du nationalisme mais ne parvient pas à le mâter.


Jamaa Baïda (Univ. de Rabat)
La presse écrite sous le Protectorat français au Maroc : un régime d’état de siège
L’instauration du régime du Protectorat au Maroc en mars 1912 a empêché un processus national de réformes, certes assez timide, d’aller jusqu’à son terme. Le projet de constitution de 1908 avait bien laissé présager un Maroc nouveau au sein duquel «chaque Marocain a le droit de jouir de sa liberté individuelle à condition qu’il ne porte pas atteinte à autrui et à la liberté d’autrui […] la liberté d’expression existe à la condition de respecter l’ordre public» (articles 13 et 14).
C’est donc un pays dépourvu d’un régime de la presse que Lyautey a trouvé lorsqu’il a été affecté au Maroc comme premier Résident général de France. Il ne tarda pas à promulguer le dahir du 27 avril 1914 pour pallier cette lacune, mais surtout pour contrecarrer toute propagande hostile émanant de l’intérieur du pays comme de l’étranger. Ledit dahir s’inspirait bien de la loi française du 29 juillet 1881, mais sur bien des points elle était moins libérale ; à l’égard de la presse arabe et hébraïque, c’est-à-dire autochtone, elle était carrément discriminatoire. Un haut fonctionnaire de la Résidence, chargé des affaires de la presse et de l’information, Eugène Margot, ne cachait d’ailleurs même pas ses convictions intimes à ce propos, puisqu’il enseignait aux futurs officiers des Affaires Indigènes :
«La presse […] est une arme dangereuse dans les mains des gens inexpérimentés. Bienfaisante à divers titres chez les nations civilisées, elle convient peu aux peuples qui en sont encore au premier stade de leur évolution, surtout aux peuples arabes et berbères si facilement impressionnables».
Trois mois après la promulgation de la loi portant réglementation de la presse au Maroc, c’est l’instauration de l’état de siège (2 août 1914) sous les impératifs de la Grande Guerre. Désormais, le champ de liberté d’expression et de publication était devenu quasiment nul. Cet état de siège devait normalement être levé après la guerre, mais ce ne fut pas le cas. Malgré les protestations de la Ligue française des droits de l’Homme, Lyautey avait trouvé divers prétextes pour le reconduire, entre autres les opérations de «pacification» et la guerre du Rif. Plus tard, sous les successeurs de Lyautey, d’autres raisons étaient évoqués : la montée du mouvement national, la seconde Guerre Mondiale, la crise franco-marocaine, etc. En somme, le Maroc a vécu sous l’état de siège de 1914 à 1956, date de son indépendance. Il s’agit dans la présente communication de voir comment cette violence coloniale a été vécue par la presse écrite et au-delà par la population marocaine et les ressortissants français du Maroc.



C – Travail et migrants

Pierre Brocheux (Sedet)
Indochine française : la répression dans le monde du travail
Infractions à l'ordre et/ou la loi dans les campagnes, les sites industriels et les services urbains (atteintes à la propriété privée,  ruptures de contrats de la main d'œuvre, grèves, manifestations et occupations des lieux de travail). L'installation du système capitaliste français s'inscrit dans le contexte de la domination coloniale avec deux conséquences: 1) l'identification ou la confusion des mouvements sociaux à caractère professionnel avec les mouvements politiques de résistance et /ou de rejet du régime colonial 2) la surveillance et la répression du monde du travail évoluent en  fonction de l'évolution politique dans la métropole colonisatrice  avec un tournant en 1936-1937 lorsqu' apparait le front populaire en France.


Eric Guerassimoff (Sedet)
Répression des activités politiques des émigrés chinois à Singapour et en Malaisie
entre les deux guerres

Les immigrés chinois installés à Singapour et en Malaisie depuis le début du XIXe siècle ont renoué des liens politiques avec leur pays d’origine ou de naissance à partir de la fin du siècle. Cette contribution examinera l’attitude du colonisateur anglais à l’égard de cette progressive prise de conscience politique de fractions de plus en plus importantes de la population chinoise vivant sur les territoires qu’il administrait ; elle exposera les différents facteurs qui conduisent l’autorité coloniale à glisser rapidement de l’indifférence à la répression, et s’efforcera de mettre en lumière l’évolution de la réaction des immigrés chinois. Cette approche de la répression coloniale dans un contexte migratoire tentera de souligner l’intérêt d’une démarche historique dans l’appréhension de notions actuellement objet de l’attention des politologues et géographes, telle que celles de territoire et de citoyenneté transnationale.


Anissa Bouayed (Sedet)
Répression et presse : faire état de la répression syndicale, une prise de risque
Dans l’Algérie de l’après deuxième guerre mondiale, les rapports sociaux sont marquées par le durcissement du face à face colonial à partir du 8 mai 1945. «Date de non retour», «le jour où le monde a basculé», «le début de la Guerre d’Algérie»… toutes ces formules disent l’impact sur les deux camps de l’immense répression du 8 mai.
Le syndicalisme aussi est un bon observatoire de l’accélération et de la massification de la répression après cette date. Comment le sait-on ?
Les militants, la presse syndicale, politique, le journal du PCA Liberté et au jour le jour, les comptes-rendus d’Alger Républicain. Dans le reste de la presse algérienne  l’absence de l’écho des luttes syndicales et des mesures coercitives prises contre les organisations relèvent du déni d’existence… sans doute pour maintenir la légende dorée de la bonne entente, d’un Alger bon enfant…, de campagnes tranquilles, de travailleurs dociles.
Premier point : Avoir un état des lieux des luttes, de la répression par le patronat local, et par les institutions métropolitaines, c’est aller de l’autre côté du miroir : agissements de la police, de la gendarmerie, de l’armée pour les territoires du sud, de la justice… relais dans la presse : les mots pour le dire. Ceux de la presse coloniale, ceux d’Alger Républicain.
Deuxième question, autour du lien répression/stratégie : quel rôle joue la répression dans le choix d’une ligne syndicale ou politique, comment la valide ou l’invalide-t-elle ? Ainsi ne pas abandonner les organisations syndicales à la dureté du rapport colonial fut longtemps un argument pour ne pas autonomiser la centrale cégétiste en Algérie.
Troisième point : L’abus d’autorité, le primat à la criminalisation de l’action sociale sont à étudier aussi dans le champ des représentations, comme autant de manifestations phénoménologiques de la Force Publique, de l’Autorité. Le Surveiller et Punir se conjuguent ici au présent et au quotidien. Quelle image du pouvoir, de la métropole, de ses institutions en ressort, quelle figure alors de cette abstraction politique qu’est la France ?
En conclusion, peut-on y voir aujourd’hui un avant-goût amer des pratiques de la Guerre d’Algérie ?


Issiala Mandé (Sedet)
Violences coloniales, violence au quotidien : le travail forcé en AOF
La France s’enorgueillit, à la fin du XIXe siècle, d’avoir supprimé l’esclavage et de mener la lutte contre les négriers en Afrique occidentale. Mais en imposant le régime colonial, elle a juridiquement établit un système inégalitaire dans lequel les colonisés, sujets français, sont astreints de manière arbitraire à des travaux d’intérêt commun. L’apostolat du travail forcé se justifiait par «l’éducation des colonisés». Mais la perversité du système est la dépendance du colonat à la main-d’œuvre indigène recrutée de force et convoyée sur les chantiers et les conditions de vie des travailleurs assimilées à du demi-esclavagisme par le gouverneur Latrille en 1944.
Ce régime de travail dit obligatoire ou forcé peut être appréhender d’après le régime juridique du colonisé (code de l’indigénat, code du travail outre-mer…), la masse documentaire résultant des rapports périodiques ou de synthèse des administrateurs coloniaux contraints de lever par la cœrcition les contingents de travailleurs tout en ayant conscience que ces populations seraient maltraitées et les différents régimes des travailleurs.
Cette communication explore les fondements, les formes du travail forcés et les moyens mis en œuvre pour son éradication en 1946. Elle s’appuiera sur une importante iconographie.


Jean-Michel Mabeko-Tali (Howard University)
Nkayi, ou la mémoire de violence : la corvée du transport fluvial dans le Nord Congo, sous la colonisation française
«Nkayi» signifie la rame ou pagaie. Dans la mémoire collective des populations du Nord Congo, ce nom invoque également la corvée du transport fluvial, sous la colonisation française. Chaque année, tout homme valide pouvait être réquisitionné à n’importe quel moment, toutes affaires cessantes et pour une durée indéterminée, pour transporter l’administrateur ou le commandant blanc, ou son auxiliaire africain. Et cela pouvait arriver à une même personne et une même famille, et autant de fois que cela plaisait à l’administrateur colonial, et surtout, à son auxiliaire africain, et au chef local désigné par l’administration coloniale, et pouvait durer de quelques semaines à de longs mois. Tout refus, signifiait le châtiment physique, la prison et la déportation, voire la mort pure et simple du contrevenant. Cette réquisition signifiait donc, pour tout petit village, la paralysie partielle, ou totale de toute activité économique, et donc des périodes de disettes pour des familles entières. En se basant sur le cas concret de la localité d’Enyellé (Département de la Likouala, dans l’extrême nord de la République du Congo) et contrées riveraines de la Libenga et de l’Oubangui, mon texte cherchera à revisiter la mémoire collective, les histoires vécues de certains survivants de cette période. Il s’agira de voir, en l’occurrence, d’une part, comment fonctionnait le système à ce niveau, de la part de l’autorité coloniale, et d’autre part, les réactions, formes de résistance et d’organisation des familles touchées par la longue absence du chef de famille.  Il s’agira également de  travailler sur toute la mythique créée autour de cette expérience par les générations qui l’ont vécue.


Chantal Chanson-Jabeur (Sedet)
Conflit syndical et répression brutale : le 5 août 1947 à Sfax (Tunisie)
En janvier 1946, naît la première centrale syndicale tunisienne d'après -guerre  (UGTT) sous le regard bienveillant des autorités coloniales, qui entendaient ainsi compromettre  et freiner l'essor de la centrale cégétiste, laquelle bénéficie d'un capital positif au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Deux expériences syndicales  autonomes avaient préalablement vu le jour en 1924 et 1936, mais ces expériences s'étaient soldées rapidement par une dissolution à la suite de mesures coercitives et répressives de la part des autorités coloniales. A priori, les conditions étaient donc différentes.
Cependant, la jeune Centrale syndicale tunisienne se retrouve rapidement exclue  de la Commission des salaires en 1947. Malgré les appels à engager un dialogue émis par la direction centrale de l'UGTT à Tunis, et notamment son Secrétaire général et leader, Farhat Hached, l'Union Régionale de Sfax ugététiste envisage de déclencher une grève le 4 août 1947 et appelle la population tunisienne à suivre ce mouvement. Le droit de grève est un droit reconnu en Tunisie et pourtant, la répression sera brutale et en ce jour du 5 août 1947 à Sfax, le bilan sera lourd : 49 morts, des dizaines de blessés et emprisonnés.
La communication se propose de revenir sur un des évènements les plus tragiques de la période coloniale en Tunisie et de revisiter le contexte et les différents éléments qui ont amené à cette forme extrême de la répression dans le monde du travail.


Daouda Gary-Tounkara (docteur Sedet)
Violences coloniales, migrations des sujets de l’AOF et représailles des résistants. Les peuples de la zone forestière face à la «pacification» de la Côte d’Ivoire (1903-1915)
Au début du XXe siècle, la Côte d’Ivoire constituait déjà un des territoires les plus prometteurs sur le plan économique de l’Afrique occidentale française (AOF) en raison de l’étendue de sa zone forestière et de l’abondance de ses matières premières (bois d’acajou, huile de palme, noix de cola). Pourtant, la colonie fut tardivement «pacifiée» ou conquise de 1903 à 1915 par le pouvoir colonial et ses auxiliaires africains (tirailleurs sénégalais – soldats de l’armée coloniale –, marchands de colas – Dioula –, travailleurs migrants).
Plusieurs raisons peuvent expliquer l’intégration tardive de la Côte d’Ivoire à l’AOF : le désir des premiers gouverneurs de capter l’allégeance des populations locales (Baoulé, Abbey, Bété) par le biais des échanges commerciaux, le manque persistant de tirailleurs et surtout la résistance de populations déterminées à résister à l’introduction de l’impôt de capitation, aux prestations et à l’indigénat. Cette résistance armée aux opérations de police lancées par les administrateurs en poste en zone forestière affecta indirectement les migrants originaires du reste de l’AOF que les groupes autochtones assimilaient à des alliés d’un pouvoir agressif et méprisant : restriction de la circulation des marchands, ouvriers du rail et porteurs descendant du Soudan, représailles et exécutions sommaires…
La présente communication analyse les rapports entre les administrateurs de la Côte d’Ivoire, les groupes de la zone forestière et les migrants originaires du reste de l’AOF dans le contexte de la « pacification » de la Côte d’Ivoire de 1903 à 1915. Elle montre que les migrants, sujets de fraîche date et en quête de débouchés professionnels, se retrouvèrent pris en otage par les opérations de police et les troubles politiques opposant le pouvoir colonial aux résistants locaux.



4) Décolonisation : discours et aspects contemporains de la répression coloniale


Alessandro Triulzi (Univ. de Naples)
Les silences de l’outre-mer : les pièges de la mémoire coloniale italienne
Ces dernières années, le débat sur le passé colonial du pays a été enrichi et inquiété non seulement par les résultats de nouvelles recherches des historiens sur la violence meurtrière de ce passé, mais aussi par les évènements quotidiens qui troublent nos sociétés aussi que celles de l’Italie coloniale. L’arrivée des migrants africains en particulier des ex-colonies (Somalie,Libye, Erythrée) ou de l’Ethiopie en guerre avec ses voisins ont ré-ouvert le dossier colonial italien avec son long cahier de doléances: la répression de la résistance en Libye et en Ethiopie, l’usage des gaz dans la conquête et la pacification de l’empire (AOI), la déportation des nomades en Libye dans les camps de concentration, les décimations des intellectuels et des clercs éthiopiens après les attentats au Général Graziani préparent le terrain et ouvrent la voie au racisme ouvert et accepté des lois raciales introduites par la Fascisme en 1937-38. La violence répressive des italiens ‘braves gens’ est rappelée et renouvelée aujourd’hui par les silences de la mémoire coloniale, une mémoire jadis supprimée et aujourd’hui sublimée du passé national, qui s’exprime dans le rapport contradictoire envers les nouveaux sujets/migrants post-coloniaux et dans le refus de reconnaître le lourd héritage que la violence coloniale a laissé sur place et dans la conscience de la nation.


Monique Chemillier-Gendreau (Sedet) (communication écrite)
La colonisation au regard du droit international
Trois périodes ont divisé l'histoire du droit international au regard de l'entreprise de colonisation. La première ouverte avec le début des "Temps Modernes" et l'affirmation de la souveraineté des États, a été celle de d'un colonialisme autorisé. En effet, s'affirme alors la doctrine de la souveraineté des États. Celle-ci se définit par un ensemble de fonctions régaliennes dont la plus importante est le droit de faire la guerre, et notamment la guerre de conquête. Cette doctrine sera tempérée par les interrogations sur la guerre juste. Mais celles-ci relèvent du débat entre théoriciens (le plus souvent théologiens), mais n'entraîne pas de conséquences juridiques.
La seconde période est celle de la mise en cause, puis de la condamnation du colonialisme par le droit international. Inspiré par les luttes de libération nationale, ce mouvement conduira en 1960 à une condamnation du colonialisme par l'Assemblée générale des Nations Unies, condamnation ensuite relayée dans divers textes, y compris les Pactes Internationaux des droits de l'homme qui affirment avec force le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Cela conduira les Nations Unies à créer un Comité de la décolonisation en charge de veiller à la marche vers l'indépendance de tous les peuples colonisés.
La troisième période est la période contemporaine, marquée par une certaine confusion idéologique. D'une part, des mouvements réactionnaires tentent de revaloriser a postériori le colonialisme et ses œuvres. D'autre part, les opprimés ou anciens opprimés tentent de faire reconnaître la colonisation comme un crime contre l'humanité. Cette tension dialectique est à replacer dans les difficultés à penser la mondialisation (dont le colonialisme a été un formidable accélérateur) dans le respect de valeurs affirmées (en même temps que non respectées) à propos de l'égale liberté de chacun.


Alain Ruscio
L'image fausse de la décolonisation « pacifique » de la Tunisie, 1950-1956
Il est fréquent, dans l'historiographie dominante, d'opposer les tragédies des guerres d'Indochine, puis d'Algérie, aux décolonisations "sages", "harmonieuses" des Protectorats du Maghreb - en particulier de la Tunisie - ou des colonies d'AOF et d'AEF.
S'il est évidemment hors de question de mettre sur un même plan les indicibles souffrances des colonisés "indochinois" et algériens et les drames vécus par le reste de l'Empire (rebaptisé Union française), il ne faut pas tomber non plus dans l'angélisme.
Si l'on s'en tient à la seule Tunisie, on constate que des procédés violents furent utilisés par le colonisateur : assassinats, ratissages, emprisonnements de militants nationalistes. En 1952-1954, le mot "fellagha" fait son apparition dans la presse française ; certains évoquent même une "guerre de Tunisie" qui commence. La sagesse de Mendès-France, par son discours de Carthage, fut d'éviter cette issue (même si ce discours ne fut pas l'annonce de la décolonisation, comme une certaine légende mendésienne l'affirme aujourd'hui).
À travers l'analyse du discours politique et journalistique, il sera souligné que la violence ne fut pas absente du processus de décolonisation tunisien.


Anne Marchand
Légitimes, illégitimes ? Les violences coloniales sous le regard de la presse française : le cas du Maroc (1950-1956)
Les manuels scolaires n'hésitent pas à séparer l'indépendance de l'Algérie de celles du Maroc et de la Tunisie. Si la première fut obtenue au terme d'une guerre (qui n'a dit son nom qu'en 1999), les deux autres auraient été "accordées" par la France, au terme de quelques "négociations" avec les leaders indépendantistes.
C'est omettre l'aspiration des peuples marocains et tunisiens à mettre un terme à la tutelle coloniale, fut-elle nommée "protectorat". C'est omettre leurs capacités d'organisation et de résistance, la force de leur mouvement d'indépendance, les formes de lutte qui furent les leurs, impossible à réduire à "quelques années de trouble". C'est surtout gommer la répression et les offensives militaires  dont ils firent l'objet.
La presse française des années cinquante, en se faisant l'écho des "événements marocains", a largement témoigné de la violence de cette période : celle des "rebelles" et des "terroristes" qui assassinent "sauvagement", "étripent", "égorgent", "dépassent" des victimes françaises innocentes mais celle aussi du pouvoir colonial, de la justice et de son arbitraire, des "Ultras", des militaires qui recourent à la torture, aux opérations de représailles… Les lignes éditoriales évoluent d'ailleurs au fur et à mesure de leur gravité jusqu'à,  par peur que "la France n'y perde son âme" (Le Monde), appeler de leurs vœux la restauration rapide du sultan sur son trône. Quitte à fermer les yeux lorsque le souverain chérifien prend ensuite le relais du pouvoir colonial pour balayer des pans entiers d'une armée de libération nationale décidée à poursuivre sa lutte jusqu'à "l'indépendance totale".


Jacques Weber (Univ. Nantes)
La répression coloniale au Bangladesh en 1971
On oublie parfois que la colonisation, loin d’être un fait historique des époques moderne et contemporaine, loin d’être le fait de l’Occident, commence avec les premières sociétés. Avant la colonisation grecque de l’Antiquité, les Indo-Européens colonisèrent, au sens propre du terme, les immenses espaces s’étendant de l’Atlantique aux bouches du Gange. Avant les Espagnols et les Portugais, les Hollandais, les Britanniques et les Français, il y eut les Arabes. Lorsqu’ils font irruption en Afrique et en Asie, les Européens interrompent des processus, en cours, de domination et de colonisation. Leur départ, dans les deux décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, libère ces impérialismes régionaux longtemps contenus. Tandis que certains Etats, comme la Chine au Tibet, vassalisent leurs voisins, d’autres sont déchirés par les méfaits de la colonisation interne. C’est le cas au Soudan, où le Sud, noir, animiste et chrétien, livre une longue guerre de libération au Nord, arabe et musulman. C’est également le cas au Pakistan oriental, qui a obtenu son indépendance en 1971 au terme d’une guerre de décolonisation, ce que les observateurs de l’époque et les historiens n’ont pas suffisamment souligné.
Lorsque, en mars 1971, Mujibur Rahman lance le mouvement de désobéissance civile, le Pakistan oriental est, depuis près d’un quart de siècle, une colonie d’exploitation. Pour le numéro 2 de la Ligue Awami, Tajuddin Ahmed, «une classe d’exploiteurs appartenant à la région de l’Ouest a sucé le Bengale oriental». Mais plus que d’être «la vache à lait» des Sindhi et des Pendjabi, le futur Bangladesh souffre de la colonisation culturelle et de la guerre que les dirigeants de l’Ouest livrent à sa langue et à sa civilisation.
Le conflit qui oppose en 1971 les résistants bengalis, les Mukti Bahini, aux troupes pakistanaises de Tikka Khan, le «boucher du Baloutchistan» devenu «le boucher du Bengale», a marqué toux ceux qui ont aujourd’hui plus de cinquante ans. Il fut l’un des pires désastres humains de ce XXe siècle émaillé de tant de drames et de génocides. Dès le 31 mars, Indira Gandhi qualifie de «génocide» la répression qui s’abat sur les membres de la Ligue Awami, les journalistes, les étudiants et les défenseurs de la culture bengalie. Les victimes se comptent par centaines de milliers, par millions peut-être, la Ligue Awami avançant le chiffre de trois millions de morts. L’intervention de l’armée indienne, en décembre 1971, met un terme à ce que le journaliste Paul Dreyfus considère comme «l’une des plus affreuses boucheries de l’histoire». Tandis que l’Inde consolide, au nom de la défense des droits de l’homme, ses positions politiques dans sa région, les grandes puissances, guidées par leurs intérêts géostratégiques, sont avant tout préoccupées soit d’avancer leurs pions, soit d’empêcher le bloc adverse de le faire.


Marion Libouthet (Doctorante Univ. Nantes)
La répression coloniale au Tibet depuis 1950
S’adressant aux membres du Parlement européen, Tenzin Gyatso, l’actuel quatorzième Dalai Lama, déclarait en 1996 que la question du Tibet est «une question de domination coloniale : il s’agit de l’oppression du Tibet par la République populaire de Chine et de la résistance du peuple tibétain à celle-ci.» C’est en octobre 1950, au moment même où les dirigeants des pays non-alignés condamnaient avec force toutes formes de colonialisme, que Mao Tse-toung ordonnait à ses troupes de marcher sur le Tibet afin de libérer le peuple tibétain de l’impérialisme étranger et de la féodalité de leur société. Abandonné par ses anciens protecteurs, les Britanniques, et par l’Inde de Nehru fraîchement indépendante, le Dalai Lama fut rapidement dans l’obligation d’accepter l’ «Accord en 17 points» signé en mai 1951 sous la contrainte par les délégués tibétains à Pékin. Le sort du Tibet allait désormais être scellé par cet accord. Après avoir joui d’une indépendance de facto depuis 1913, le Toit du monde rejoignait la République populaire de Chine  qui depuis maintenant plus de cinquante ans exerce sur le  Tibet une  politique coloniale dont l’un des aspects les plus marquants réside dans la violente répression exercée à l’encontre du peuple tibétain,  répression ayant entraîné d’après les chiffres généralement donnés la mort de 1,2 millions de Tibétains. S’il est délicat de parler de génocide, comme certains observateurs de la question tibétaine le  font,  il apparait néanmoins de façon claire que la politique  répressive de Pékin à l’égard du Tibet a entraîné la mort de centaines de milliers de Tibétains et la quasi-destruction de leur identité culturelle. Tandis que l’exploitation économique du Tibet au profit de la Chine ne cesse de se développer et que le transfert massif de colons chinois s’intensifie, la violation des droits de l’homme du peuple tibétain n’est contesté que de façon symbolique par la communauté internationale qui pour des raisons stratégiques et politiques a fait le choix en 1950 de sacrifier le Tibet.






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