Les vilaines contrevérités de Bernard-Henry Lévy (Michel Renard)
Les vilaines contrevérités de
Bernard-Henry Lévy
Michel RENARD
«Guaino, il est raciste. C'est lui qui a fait le discours de Dakar, que le président Sarkozy a prononcé et qu'il a dû découvrir dans l'avion parce que Sarkozy n'est pas raciste. Discours ignoble où l'on disait que si l'Afrique n'était pas développée c'était parce qu'elle n'était pas inscrite dans l'histoire (...). Dire cela en effaçant complètement la colonisation, la destruction du pays par cette époque honteuse du colonialisme, c'est du Guaino et c'est du racisme (...). Ce discours est un discours raciste, celui qui l'a écrit est donc vraisemblablement un raciste» (Bernard-Henri Lévy, France Inter, mardi 9 octobre 2007, à propos d'Henri Guaino, conseiller de Nicolas Sarkozy).
Le texte intégral du discours de Nicolas Sarkozy est publié sur ce blog, avec quelques critiques. Nous le connaissons donc. Prétendre, comme le fait BHL, qu'il "efface complètement la colonisation" est une contrevérité flagrante. Flétrir la thèse d'une Afrique non inscrite dans l'histoire en omettant de dire que Sarkozy appelle justement les jeunes Africains à ne pas écouter "ceux qui veulent faire sortir l'Afrique de l'histoire"..., c'est une vilaine manipulation.
Voilà le passage controversé du discours de Nicolas Sarkozy :
- "Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. (...)"
Voilà le passage omis par BHL :
- "N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent faire sortir l'Afrique de l'histoire au nom de la tradition parce qu'une Afrique ou plus rien ne changerait serait de nouveau condamnée à la servitude.
N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous empêcher de prendre votre part dans l'aventure humaine, parce que sans vous, jeunes d'Afrique qui êtes la jeunesse du monde, l'aventure humaine sera moins belle.
N'écoutez pas jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous déraciner, vous priver de votre identité, faire table rase de tout ce qui est africain, de toute la mystique, la religiosité, la sensibilité, la mentalité africaine, parce que pour échanger il faut avoir quelque chose à donner, parce que pour parler aux autres, il faut avoir quelque chose à leur dire.
Écoutez plutôt, jeunes d'Afrique, la grande voix du Président Senghor qui chercha toute sa vie à réconcilier les héritages et les cultures au croisement desquels les hasards et les tragédies de l'histoire avaient placé l'Afrique."
Quant à la colonisation..., Bernard-Henry Lévy prend les gens pour des imbéciles. Ce thème occupe une grande partie du discours du président français.
Voilà ce que Nicolas Sarkozy a dit à Dakar à propos de la colonisation :
- "L'Afrique a sa part de reponsabilité dans son propre malheur. On s'est entretué en Afrique au moins autant qu'en Europe. Mais il est vrai que jadis, les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de vos pères. Ils ont dit à vos pères ce qu'ils devaient penser, ce qu'ils devaient croire, ce qu'ils devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l'Afrique.
Ils ont eu tort.
Ils n'ont pas vu la profondeur et la richesse de l'âme africaine. Ils ont cru qu'ils étaient supérieurs, qu'ils étaient plus avancés, qu'ils étaient le progrès, qu'ils étaient la civilisation.
Ils ont eu tort.
Ils ont voulu convertir l'homme africain, ils ont voulu le façonner à leur image, ils ont cru qu'ils avaient tous les droits, ils ont cru qu'ils étaient tout puissants, plus puissants que les dieux de l'Afrique, plus puissants que l'âme africaine, plus puissants que les liens sacrés que les hommes avaient tissés patiemment pendant des millénaires avec le ciel et la terre d'Afrique, plus puissants que les mystères qui venaient du fond des âges.
Ils ont eu tort.
Ils ont abîmé un art de vivre. Ils ont abîmé un imaginaire merveilleux. Ils ont abîmé une sagesse ancestrale.
Ils ont eu tort.
Ils ont créé une angoisse, un mal de vivre. Ils ont nourri la haine. Ils ont rendu plus difficile l'ouverture aux autres, l'échange, le partage parce que pour s'ouvrir, pour échanger, pour partager, il faut être assuré de son identité, de ses valeurs, de ses convictions. Face au colonisateur, le colonisé avait fini par ne plus avoir confiance en lui, par ne plus savoir qui il était, par se laisser gagner par la peur de l'autre, par la crainte de l'avenir.
Brazzaville, transport d'ivoire, 1946 (source)
Le colonisateur est venu, il a pris, il s'est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail.
Il a pris mais je veux dire avec respect qu'il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu féconde des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n'étaient pas des voleurs, tous les colons n'étaient pas des exploiteurs.
Il y avait parmi eux des hommes mauvais mais il y avait aussi des hommes de bonne volonté, des hommes qui croyaient remplir une mission civilisatrice, des hommes qui croyaient faire le bien. Ils se trompaient mais certains étaient sincères. Ils croyaient donner la liberté, ils créaient l'aliénation. Ils croyaient briser les chaînes de l'obscurantisme, de la superstition, de la servitude. Ils forgeaient des chaînes bien plus lourdes, ils imposaient une servitude plus pesante, car c'étaient les esprits, c'étaient les âmes qui étaient asservis. Ils croyaient donner l'amour sans voir qu'ils semaient la révolte et la haine.
La colonisation n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique. Elle n'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n'est pas responsable des génocides. Elle n'est pas responsable des dictateurs. Elle n'est pas responsable du fanatisme. Elle n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication. Elle n'est pas responsable des gaspillages et de la pollution.
Mais la colonisation fut une grande faute qui fut payée par l'amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulait autant.
La colonisation fut une grande faute qui détruisit chez le colonisé l'estime de soi et fit naître dans son cœur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres.
La colonisation fut une grande faute mais de cette grande faute est né l'embryon d'une destinée commune. Et cette idée me tient particulièrement à cœur.
La colonisation fut une faute qui a changé le destin de l'Europe et le destin de l'Afrique et qui les a mêlés. Et ce destin commun a été scellé par le sang des Africains qui sont venus mourir dans les guerres européennes.
Et la France n'oublie pas ce sang africain versé pour sa liberté.
Nul ne peut faire comme si rien n'était arrivé.
Nul ne peut faire comme si cette faute n'avait pas été commise.
Nul ne peut faire comme si cette histoire n'avait pas eu lieu.
Pour le meilleur comme pour le pire, la colonisation a transformé l'homme africain et l'homme européen."
* *
Bernard-Henri Lévy n'a jamais lu le discours de Dakar. Il n'a retenu qu'une formule citée par les détracteurs du président français sans vérifier par lui-même. Pourquoi prétendre que Sarkozy "efface la colonisation" alors, qu'au contraire, ce dernier affirme qu'il s'agit d'une "grande faute"...? C'est lamentable. Et on ne trouve pas un journaliste pour lui rétorquer cela...
Michel Renard
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dédouaner sarkozy
Je suis un peu surprise par votre défense de Sarkozy quand on voit l'instrumentalisation qu'il fait de la question de la colonisation. Que je sache - il était au gouvernement quand la loi sur les bienfaits de la colonisation a été votée. Que dire aujourd'hui de sa politique et de la création d'un ministère de l'identité nationale. S'il veut aller au bout de son discours - qu'il nous donne d'abord le droit de vote comme il en était question lors de sa campagne électorale. Et qu'il arrête de faire du Le Pen sans Le Pen - bien à vous et merci pour la qualité de votre blog.
Fériel
commentaire, 13 octobre
Réponse
Je ne défends pas le discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy le 26 juillet dernier. Je ne comprends pas qu'on puisse l'évoquer publiquement sans l'avoir lu... C'est tout.
Sur ce blog, il a été publié, accompagné des critiques qu'il a soulevées. C'est un texte évidemment discutable. Mais le taxer de raciste en affirmant avec aplomb qu'il "efface complètement la colonisation" (Bernard-Henry Lévy), est un mensonge, tout simplement.
J'entendais, mercredi dernier sur une radio, Gaston Kelman, auteur notamment de Je suis noir et je n'aime pas le manioc, expliquer que le président Sud-africain Tabo M'Beki n'avait pas été choqué par ce discours. Gaston Kelman se disait, par contre, gêné par le fait que le discours s'adressait à la jeunesse alors que cette dernière veut précisément "s'éloigner de cette image de l'Afrique".
Mais, continuait-il, "quant à savoir si l'Africain a de la difficulté à entrer dans l'histoire, c'est un fait que personne ne nie aujourd'hui. C'est un fait réel qu'il y a des difficultés à s'approprier les outils du progrès, à sortir d'une certaine mythologie qui place l'esclavage, la colonisation, la mondialisation et l'Apartheid comme étant les sources de toutes les difficultés de l'Afrique à se développer. Vu sous l'angle de l'Afrique et des mythes, le Président avait tout à fait raison." (source audio)
Michel Renard
le président Sud-africain Tabo M'Beki