Un dictionnaire pour décoloniser les esprits (Hervé Nathan)
sur la route de Moussoro (Fort-Lamy), Tchad, 1935-1945 (base Ulysse, Caom)
Un dictionnaire
pour décoloniser les esprits
Hervé NATHAN
La loi du 23 février 2005 sur "l'enseignement positif de la colonisation" aura un enfant posthume et… involontaire : le Dictionnaire de la colonisation française, dirigé par Claude Liauzu, un des histoiriens qui lancèrent la pétition contre la loi scélérate. Le "dico" veut rompre avec la "mémoire", manipulée et manipulable, au profit de l'histoire. Le livre, écrit par une équipe pluridisciplnaire où l'on retrouve, outre Benjamin Stora, des chercheurs de gauche, de droite, issus du Maghreb ou de France, est un peu un catalogue des idées non reçues dans les enseignements officiels, ou les récits apologétiques.
Le premier article est ainsi consacré à Ramdane Abbane, le plus brillant idéologue du FLN algérien qui fut assassiné au Maroc en 1957, "sur ordre des dirigeants du FLN". On apprend qu'en 1954 la Ligue des Droits de l'Homme demanda… le rétablissement de l'ordre en Algérie après l'insurrection de la Toussaint !
Les pages les plus terribles sont consacrées aux rapports entre la colonisation et la République. D'où il ressort que la France a littéralement appris le racisme de son expérience coloniale. Il suffit de relire le Tour de France par deux enfants, manuel censé inspirer l'amour de la patrie aux enfants de la République qui enseigne que "la race blanche est la plus parfaite" et la race noire a "les bras très longs".
Mais, si le colonialisme fut largement accepté par les Français, il fut toujours un enjeu d'affrontement entre républicains. Il y eut les pour (Gambetta, Ferry), qui pensaient apporter la civilisation aux peuples attardés, et les contre, comme Clemenceau ou Anatole France qui écrivait : "Les peuples que nous appelons barbares ne nous connaissent que par nos crimes. […] Allons-nous armer sans cesse contre nous en Afrique et en Asie d'inextinguibles colères et des haines insatiables, et nous préparer des millions d'ennemis ?" Reste à savoir si la colonisation a été positive ou négative. Le dictionnaire aidera chacun à s'en faire une idée. Claude Liauzu reconnaît que la France laissera deux legs à ses ex-colonies : la naissance de l'État moderne et la notion d'individu. C'est déjà ça.
Hervé Nathan
Marianne, n° 523, 28 avril 2007
équipe de travailleurs sur la route de Mouila-Onoï, Gabon (base Ulysse, Caom)