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études-coloniales
14 avril 2007

Une histoire française : Dictionnaire de la colonisation (L'Express)

Diapositive1
1946, Brazzaville, transport d'ivoire ; wagons de la compagnie
de Chemin de Fer Congo-Océan
(source Caom)

 

Une histoire française :

le Dictionnaire de la colonisation française

par Jean-Sébastien STEHLI

 

D'horizons très divers, des historiens ont entrepris une relecture de cette période controversée. Le résultat de ce travail très attendu, présenté sous la forme d'un dictionnaire, est magistral.

On croyait bien en avoir fini avec la colonisation et, au contraire, elle n'a 12090153jamais été si présente depuis la fin de l'aventure coloniale française, il y a plus de quarante ans : vote de la loi de 2001 condamnant l'esclavage comme crime contre l'humanité, journée de commémoration du 10 mai, controverse autour du «rôle positif» de la présence française outre-mer, polémique autour de la définition de la colonisation dans le dictionnaire Le Petit Robert, souvenir soudain de la révolte des Malgaches, en mars 1947, ouverture du musée consacré aux arts premiers, à Paris, et triomphe du film Indigènes, primé à Cannes. Le passé colonial s'immisce jusque dans le débat actuel sur l'identité française qui agite la campagne présidentielle.

Ce débat - passionné, houleux, parfois strident - sur notre histoire outre-mer, ne cesse de prendre de l'ampleur. Mais, jusqu'à présent, il a surtout opposé deux camps : celui qui exigeait que l'État français fît acte de repentance en réparation des crimes de la colonisation et celui qui, au contraire, voulait que les côtés «positifs» de celle-ci fussent célébrés. Curieusement, le travail historique sérieux sur cette épopée est pauvre. Des pans entiers de l'histoire coloniale restent inexplorés. Rien, par exemple, sur la colonisation vue par les conscrits envoyés au-delà des mers depuis 1830. Pas de chiffres sur le nombre de Français ayant participé à la colonisation. Même le brillant ouvrage de Pierre Nora, Les Lieux de mémoire (Gallimard), ne lui consacre qu'un chapitre.

Le remarquable Dictionnaire de la colonisation française, rédigé sous la direction de Claude Liauzu - lui-même enfant de la colonisation, né à Casablanca en 1940 - tente de mettre un peu d'ordre dans ce gourbi. «La passion autour de cette question, explique l'historien, prouve que la colonisation n'appartient pas à un passé mort.» Avec 70 auteurs, dont des historiens éminents, tel Benjamin Stora, mais aussi des sociologues et des linguistes, au fil de 700 entrées, ce dictionnaire explore tous les aspects de notre passé colonial, en mettant en garde: «Les historiens ne sont pas les détenteurs de la vérité absolue.» Ils doiventFatou_Ciss_ aider les lecteurs à comprendre le passé.

Mais Liauzu ne s'est pas cantonné au débat franco-français. Il a fait appel à des chercheurs «nés après le désenchantement qui a suivi les fêtes de l'indépendance», ainsi qu'à des historiens des DOM-TOM et des anciennes colonies - Maghreb, Madagascar, Vietnam, Afrique. «Les problèmes qui se posent en France se posent de l'autre côté, explique Liauzu. Les historiens n'y sont pas plus à l'aise

Surtout, l'ouvrage contourne l'écueil du politiquement correct. «Il faut éviter la tentation de l'anachronisme, qui consiste à juger hier avec les critères d'aujourd'hui», affirme Claude Liauzu. Les opposants à la colonisation sont très minoritaires tout au long du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe. En dehors des intérêts économiques qui sous-tendent les conquêtes, la grande majorité des intellectuels européens, de Jules Ferry à Karl Marx, veut propager les idéaux des Lumières. D'ailleurs, nombre de leaders des guerres d'indépendance sont les enfants de l'école républicaine. Il faut se méfier également des cycles de l'Histoire, qui veulent que celle-ci soit d'abord racontée par le colonisateur, puis qu'elle adopte le point de vue des vainqueurs des guerres d'indépendance. Depuis une petite dizaine d'années, «le balancier est revenu vers la France, qui redécouvre un passé enfoui». Ce dictionnaire démontre avec limpidité que le pays colonisateur, tout autant que les colonisés, est transformé par l'expérience coloniale.

L'originalité de ce pavé, qui se dévore comme un roman d'aventure, est de nous entraîner, de Hanoi à Tahiti et de Tombouctou à la casbah d'Alger, dans un récit qui présente le positif et le négatif, l'histoire avec une majuscule et la petite histoire, sans romantisme mais sans jugements moraux non plus. On croise Tintin et les Pieds Nickelés, Zidane, fils d'un Kabyle, Banania et son slogan «Y'a bon», et encore tous les mots venus des pays lointains ou les plats qui sont arrivés sur notre table. Le dictionnaire fourmille de sujets passionnants et inattendus, sur le corps, les femmes (et aussi sur les Européennes qui ont épousé des chefs de la rébellion), la place de l'outre-mer dans l'inspiration des artistes, les statues et les monuments aux morts des colonies.
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Mais ce Dictionnaire de la colonisation française est un véritable livre d'histoire. Pour les sujets importants - l'esclavage, l'école, la guerre d'Algérie, le gouvernement colonial, la guerre d'Indochine - Liauzu et son équipe prennent le temps d'explorer toute la complexité de la question. L'histoire de la colonisation est également une histoire d'hommes et l'ouvrage les met en scène : Abd el-Kader - en prenant soin de nous donner toutes les facettes de ce personnage complexe - Savorgnan de Brazza, Hô Chi Minh, Gambetta, Faidherbe, Malraux, Dumont d'Urville ou encore Elisée Reclus [photo ci-contre]. 220 biographies au total. On ressort de la lecture de ce livre - dans lequel il faut se laisser entraîner d'une entrée à une autre, sans but - avec des odeurs, des saveurs et des sons qui résonnent dans notre imaginaire, mais surtout des idées plus claires sur ce qu'a été l'aventure coloniale afin de ne plus en être prisonnier.

L'Express du 12 avril 2007

Dictionnaire de la colonisation française
Collectif, éd. LAROUSSE
sous la direction de Claude Liauzu.
648 pages, 26 € (170,55 FF)

 

DAFANCAOM01_30FI078N050_P
Moundou (Tchad), 1er avril 1959, marchand de poissons
auteur : Lancereaux (Paul), ingénieur agricole du ministère
de la  France d'outre-mer
(source : Caom)

 

 

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Commentaires
R
Sur :<br /> http://debarquement-a-kenitra.blogspot.com/2011_11_01_archive.html<br /> on peut lire :<br /> « Un rassemblement de Marocains, qui n'était pas un camp, qui n'était pas une armée, qui était un grand village nomade, un rassemblement d'hommes, d'enfants et de femmes, ce rassemblement, qui n'a même pas essayé de se défendre, a été surpris, enveloppé par l’artillerie, foudroyé, et nul être humain n'a échappé. »
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R
« En vertu des droits que nous tenons du voisinage et des prêts usuraires faits par nos banques, nous posons un premier pied au Maroc. Les Marocains font la grimace et se rebiffent. Alors, nous bombardons et mitraillons ces « rebelles ». Nous brûlons leurs camps et leurs douars.<br /> Ceci fait, et toujours en vertu du patriotisme le plus pur, nous leur imposons des contributions pour payer les dégâts que nous avons commis chez eux. Et, ensuite, nous étonnons de voir qu’ils ne sont pas contents. »<br /> Maurice ALLARD
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A
Je rend hommage à André RAYMOND qui vient de nous quitter le 18 février 2011; historien et chercheur connu de tout le monde arabo-musulman, il a été enseignant et chercheur en Tunisie , dans les lycées comme à l'université; beaucoup de tunisiens en gardent un souvenir exceptionnel; personnellement, il a été membre du jury de soutenance de ma thèse d'Etat à l'université de Nice le 30 mars 1987; devenu collègue et ami, je le rencontrai souvent à Tunis ou à Zaghouan lors de manifestations scientifiques ; j'ai beaucoup appris de lui tout comme mes autres amis français, amis de la Tunisie, André NOUSCHI, Robert MANTRAN, Claude LIAUZU... l'oeuvre d'André RAYMOND est plus que constructive: elle a été fondatrice.<br /> <br /> Pr Ahmed JDEY, Historien et universitaire tunisien.
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R
« Une tête sans mémoire est une place sans garnison.»-Napoléon Bonaparte<br /> <br /> <br /> « Occuper Kasbah Knitra dans le plus bref délai »<br /> (M. CRUPPI, Ministre des Affaires étrangères, Paris, le 19 avril 1911)<br /> <br /> L’année 2011 représente le centenaire du débarquement français à Mehdia/Kenitra, action menée sous le prétexte de secourir la ville de Fès, de la même manière que Casablanca fut prise en 1907, avec l’alibi de sauver les ressortissants européens y résidant. La marche sur Kenitra visait en réalité la conquête de la plaine du Gharb, la soumission des Beni Hssen, ″pacification″ des régions de Fès, Meknès et la main mise sur les riches terres cultivables du haut Sebou. Sur le lien suivant : http://debaquement-a-kenitra.blogspot.com/2010/12/1-occuper-kasbah-knitra-dans-le-plus.html . Nous essayerons, tout au long de l’année 2011, de prendre connaissance de l’occupation de Kenitra ainsi que le débarquement français à Mehdia en Avril 1911. Au début de chaque mois, nous découvrirons une partie. <br /> <br /> Meilleurs vœux‏
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R
Nous vivons dans un temps qui attache une grande importance à l'histoire. Il semble en effet<br /> que l'histoire est une discipline indispensable à la formation des citoyens dans l'Etat. Les<br /> historiens nous rappelle toute l'importance du devoir de mémoire à l'égard de ce passé que<br /> nous ayons traversé.(Voir) :<br /> http://centenaire-de-kenitra.blogspot.com/<br /> La connaissance du passé permet d'expliquer le présent. Garder mémoire en n'oubliant pas le<br /> passé, c'est demeurer vigilant et être capable de déceler ce qui dans notre temps risquerait de<br /> s'avérer une répétition sinistre du passé. <br /> « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. »<br /> Winston Churchill
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