Embarquement de tirailleurs et spahis marocains à Oran en 1943 (source)
Le vrai visage des tirailleurs
La vérité sur le sacrifice des troupes indigènes selon Daniel Lefeuvre, auteur de Pour en finir avec la repentance coloniale (Flammarion)
L'Express du 21/09/2006
Propos recueillis par Christian Makarian
- À partir de quand trouve-t-on des troupes coloniales sous le drapeau français ?
- Daniel Lefeuvre: Dès la guerre franco-allemande de 1870. Antérieurement, il ne faut pas oublier le rôle des Algériens, les Zwava (ce qui a donné le mot zouave), recrutés par l'armée pour participer à la conquête de l'Algérie, dès l'été 1830. Mais c'est avec la guerre de 1914 que l'appel aux colonies a été le plus massif. Plus de 600 000 soldats coloniaux sont mobilisés. Il faut préciser que le service militaire obligatoire est étendu, en 1912, aux jeunes Algériens musulmans sans pour autant qu'ils obtiennent la citoyenneté.
- La France saura-t-elle remercier ces hommes après 1918 ?
- Daniel Lefeuvre : Des réformes partielles sont introduites en 1919, mais il n'y a pas d'extension à tous d'une pleine et entière citoyenneté. Il y a des améliorations matérielles, des droits accordés, des pensions, des privilèges d'emploi pour les mutilés ou les veuves de guerre. Des reconnaissances symboliques sont également accordées. L'armée a toujours été très scrupuleuse sur le respect des rites religieux, que ce soit en termes de nourriture ou de sépulture. Une mosquée en bois itinérante a même été construite. C'est au grand peintre Etienne Dinet que l'armée demande de dessiner les tombes des soldats musulmans tués au combat. Après la guerre, on inaugure la Grande Mosquée de Paris. L'Etat français finance l'acquisition d'une hôtellerie à La Mecque, pour accueillir les pèlerins venant des colonies françaises.
- Faut-il parler d'une «saignée coloniale» ?
- Daniel Lefeuvre : Les statistiques ne montrent pas de surmortalité des troupes coloniales, l'horreur étant partagée par tous les combattants. Au sens de l'assimilation, même si c'est une assimilation par la guerre, la France montre une sacrée confiance dans ses troupes coloniales pour en arriver à les mobiliser massivement, à les armer, à les instruire, sachant qu'ensuite c'étaient des soldats aguerris que l'on allait renvoyer chez eux et non des paysans désarmés. Et, dernière marque de reconnaissance, les troupes coloniales sont les plus applaudies, avec la Légion, lors des défilés militaires de l'après-guerre de 1914. Elles sont ovationnées. Un signe de cette popularité vient de ce qu'une grande marque de petits déjeuners pour enfants change son image - c'était une Antillaise avec des bananes - pour adopter un tirailleur sénégalais. Aujourd'hui, on voit dans Banania un stéréotype raciste ; dans l'esprit de l'époque, c'était l'inverse. On n'aurait pas vendu un petit déjeuner pour enfants avec une image répulsive.
- Comment évaluer le sacrifice des troupes «indigènes» entre 1942 et 1945 ?
- Daniel Lefeuvre : Il faut rappeler qu'il y a 176 000 Français, Européens d'Afrique du Nord, engagés sous les armes ; ce qui représente environ 45% d'une classe d'âge mobilisée. C'est énorme ! Puis on compte 253 000 soldats pour toute l'Afrique du Nord et l'Afrique noire réunies. Ces derniers forment une armée de fantassins. Mais il y a des lieutenants et des capitaines musulmans. Avant la guerre, on remarquait déjà un colonel algérien musulman, polytechnicien.
- Quel est l'état réel de leurs pertes ?
- Daniel Lefeuvre : Parmi les 253 000 soldats nord-africains, au moment de la capitulation, on compte un peu moins de 12 000 tués et de 40 000 blessés. Soit un taux de mortalité de 5%. Pour les 100 000 soldats d'Afrique noire, 4 500 tués, c'est-à-dire un taux de mortalité de 5%. Au sein des troupes françaises d'origine européenne, il y a 40 000 tués, soit un peu moins de 6% de pertes. Enfin, parmi les 176 000 pieds-noirs, on dénombre 14 000 tués, ce qui équivaut à un taux record de 8%.
tirailleurs sénégalais sur une plage de Fréjus (1914-1918) (source)
Albert, un Breton du terroir, un fils de paysan, né en 1934 (73 ans), nous
raconte sa jeunesse, jusqu'à l'âge de 23 ans où il acheva son service
militaire obligatoire en Petite Kabylie. En 1956 et 1957, cet homme bon et
sensible participa contre son gré à la guerre dite de « pacification et de
maintien de l'ordre », un épisode atroce qui cache bien son nom. Il est
revenu dans sa belle province, la Bretagne, traumatisé par l'expérience
vécue en Algérie, comme la plupart de ses camarades de régiment.
Il témoigne, il nous dit ce qu'il a vécu : la dure vie dans le bled, les
marches forcées sur les djebels, les ratissages du terrain, les contrôles
des villages : Béni-Ourtilane, El-Maïn, Bouhamza, Freha, Djahnit, Ouled Sidi
Idir, les combats, les traquenards et les atrocités perpétrées par l'un et
l'autre camp. Mais aussi, cet homme pacifique, soumis
aux ordres de ses supérieurs et contraint d'obéir, réprouvait dès le départ
une guerre qu'il juge perdue d'avance - on ne lutte pas contre un peuple qui
combat pour la liberté et aspire se libérer du joug de la colonisation -, et
il ne cache pas sa sympathie pour les population kabyles victimes de la
guerre. A ces « pauvres parmi les pauvres », les soldats français, qui
avaient souvent faim et soif, prenaient encore leurs maigres réserves de
nourriture, et augmentaient leur dénuement. Pendant qu'il « crapahutait »
dans les djebels, et qu'il assistait, contre son gré, à des scènes pénibles,
Albert fit la promesse de témoigner.
Quarante huit années après son retour en France, il témoigne, mais, en son
âme et conscience, il ressent toujours le poids énorme de la barbarie.
Combien de jeunes du contingent, victimes de la guerre d'Algérie, ont osé
témoigner ? Presque pas ! Le mal reste tapi au fond de leurs mémoires, plus
insidieux qu'un serpent. Certains se sont suicidés, la plupart se sont tus,
renfermant à tout jamais leurs terribles souvenirs ; ils en souffriront
jusqu'à la mort. A partir du récit d'Albert, j'ai écrit un livre de
témoignages Il s'intitule : « La Jeunesse d'Albert ».
Ceux qui ont vu le film « Ennemi intime », apprécieront.
Ce livre vient d'être édité chez LIV'EDITIONS, au Faouët. (56320) BP 15.
Site du livre :
http://60gp.ovh.net/~livediti/index.php?b=livre_fiche&id=247&PHPSESSID=7ce816ce120bdae70eb81102f5d7a6a6
Cordialement
Marcel Gozzi
http://www.amazon.fr/gp/search/171-9485720-0715458?search-alias=stripbooks&field-author=Gozzi%2C%20Marcel
http://www.amazon.fr/Souvenirs-Chien-Chien-Goz-Marzic/dp/2748171640/sr=11-1/qid=1167743870/ref=sr_11_1/402-6458333-9224944
http://www.manuscrit.com/catalogue/textes/fiche_texte.asp?idOuvrage=7579